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dénûment le plus affreux, sans que sa santé en souffrit; ce qui,suivant
le dire des médecins, est le propre des tempéramens mélancoliques,
lorsque leur imagination est fortement occupée d’images qu’ils ont
créées. En outre, le prévenu demeuroit en face des deux femmes qui
agissoient si puissamment sur lui qu’il les avoit presque toujours devant
les yeux; cette circonstance donna un nouvel aliment à son imagination.
Delà les visions nocturnes qu’il prenoit pour des réalités, delà sa passion
indomptable pour la plus jeune femme, ce qui changea sa melancolia
Narcissi en une melancolia amorosa. Peu importe que le prévenu ait
rempli convenablement les fonctions de son état, et n’ait rien fait qui
annonçât le dérangement de son esprit. On sait qu’un des caractères
particuliers de la manie qui ne s’occupe que d’un seul objet, est que ceux
qui en sont atteints agissent pour tout le reste, d’après les règles de la saine
raison. L’usage fréquent des boissons échauffantes, et surtout l’abus de
Soi-même, occasionné par une imagination échauffée, auquel le prévenu
étoit habituellement livré, contribuent , d’après de nombreuses observations
et le témoignage de plusieurs médecins, à accroître tellement
la manie, que pour le plus mince sujet elle dégénère en fureur; et l’on
en voit des indices chez le prévenu dans le manque de sommeil, l’amour
de la solitude, et le tintement presque perpétuel des oreilles. C’est
dans une pareille disposition à la manie que le prévenu a écrit l’histoire
de sa vie; il se représentoit toujours avec vivacité ses souffrances réelles
ou imaginaires ; et on conçoit comment, à la fin de sa narration, son imagination
étant extrêmement échauffée, il a résolu de tuer les prétendus
auteurs de ses tourmens, et comment il a effectué son dessein dans un
moment de fureur. La préparation de l’instrument, le choix des moyens
pour arriver à ses fins, ne prouvent pas que l’ame du prévenu ne fût
pas dans un état de dérangement. On sait en effet qu’un maniaque agit
avec suite et ordre pour ce.qui concerne sa manie, et pour atteindre
au but qu’il a en vue. Les observations les plus communes apprennent
que des individus malades d’une'fièvre chaude , et chez lesquels il y a
absence totale de raison, inventeront les moyens les plus ingénieux
pour exécuter un suicide auquel ils seront déterminés. Les gens de l’art
de Trieste tiroient unanimement de ces observations la conséquence,
que le prévenu avoit d’abord été atteint d’une mélancolie qui avoit
dégénéré en manie, et que c’étoit dans un accès de manie, et dans un
moment d’absence totale de raison qu’il avoit commis le meurtre.
Aussitôt après, l’accès avoit cessé, la violence de sa passion et sa vengeance
satisfaites à la fois, puis la vue du sang, avoient modéré l’effer-
vescence de son imagination , et rétabli l’équilibre dans son esprit ; ce
qui expliquoit la tranquillité et l’indifférence de la conduite du pré-«
venu lors du premier interrogatoire.
t L ’intervalle de tranquillité qui suivit, et qui est assez ordinaire dans
la manie , est la cause des réponses réservées et laconiques du prévenu
lors de l’interrogatoire ultérieur, et des pleurs qu’il répandit sur son
état actuel ; ces circonstances ne font que confirmer encore davantage
le dérangement antérieur de son esprit. Les gens de l’art finissoient par
observer qu’ayant encore examiné le prévenu avant de terminer la
rédaction de leur avis, ils l’avoient trouvé dans un état de tranquillité
apparente.il sembloit qu’une éruption cutanée qui s’étoit manifestée sur
tout son corps y eût contribué; la matière âcre qui rendoit auparavant
son système nerveux si irritable, s’étant dégagée par cette issue, les
regafds égarés du prévenu, son pouls qui continuoit à être foible, serré,
nerveux annonçoient qu’il avoit toujours du penchant à la manie. C’est
pourquoi ils ne se hasardoient pas à affirmer que le prévenu fût complètement
guéri de sa maladie morale.
Le tribunal criminel inférieur , nonobstant cet avis des médecins,
prononça, d’après la rigueur de la lo i, la peine capitale contre l’assassin.
Le tribunal supérieur, se fondant sur l’avis des médecins, jugea que le
cas n’étôit pas du ressort de la procédure criminelle. La cour suprême
de justice remit la nouvelle déclaration des médecins de Trieste à la
faculté de médecine de Vienne,.pour qu’elle donnât son avis définitif.
La faculté commença par poser comme principe nécessaire, que dans
les cas de médecine légale on devoit décider sur la nature du fait non
d’après des présomptions ou d’après la simple possibilité de ce qui pou-
voit arriver dans dçs cas analogues, mais d’après des faits prouvés, et