
plus importante de l'autre ;’ répandre le bonheur sur ses semblables
est une jouissance aussi vive que recevoir un bienfait des mains de
l’amitié.
Quel tableau différent, là où l’égoïsme remplacé l’attachement et
l’amitié; là où des formules de politesse, de vaines protestations, tiennent
lieu de bienveillance; où tout part d’un coeur vide pour ne s’adresser
qu’à des coeurs flétris ; où l’individu n’est dans la société, et jusque dans
sa famille, qu’un instrument de plaisir, qu’un jeton nécessaire au
calcul de l’intérêt; où pour le plus frivole avantage, on rompt une
liaison de plusieurs années, le front serein et le coeur tranquille ; où le
père, la mère, l’épouse, le frère, que la mort vient de frapper, sont
oubliés dès l’instant que la terre les couvre; où rappeler leur souvenir,
c'est blesser les convenances, parce que ce souvenir pourroit faire couler
des larmes. Qui ne géniÿ sur l’état de semblables hommes, auxquels la
nature semble avoir refusé des entrailles!
La plupart des animaux sont susceptibles d’attachement, si non pour
l’homme, du moins pour d’autres animaux. L’on a observé souvent que
des chevaux ou des boeufs maigrissent, lorsqu’on dépareille le couple
acÆmtumé. Souvent on voit dans les troupeaux certains individus se
tenir constamment ensemble. On nous a fait remarquer, en Danemark,
dans un haras, que ce sont toujours des chevaux du même poil,
qui s’associent spontanément. L’attachement des singes, tant pour
des animaux de leur espèce que pour 1 homme, surpasse toute idee.
Tout le monde connoit cette petite espèce de perroquets, que l’on
appelles les inséparables, parce qu’ils meurent souvent lorsqu’on les
désunit. Tout le monde a pu admirer l ’amitié qui règne quelquefois
entre un tigre et un chien, un lion et un chien, un cheval et un chien ,
ou entre deux chiens. Un phoque que j’avois depuis peu de jours,
m’étoitdéjà tellement attaché, que lorsque je sortois, il faisoit tousses
efforts pour sauter de son batjuet afin de me suivre. Le chien défend
jusqu’au dernier soupir, son maître, qui souvent a l’ingratitude de le
maltraiter. 11 meurt de douleur et de faim sur le tombeau de son maître
chéri; et après des années encore il se jette avec fureur sur ses assassins
>. Il y a des exemples, et ces exemples ne sont pas très-rares, de
chiens morts de la joie que leur causoit le retour de leur maître, et d’autres
qui ayant trouvé inopinément leur maître mort, ont succombé à
l’instant au saisissement et à la douleur. Dans un chien mort de cette
manière, on trouva le coeur crevé. On a vu des loups privés ressentir
un tel chagrin de l’absence de leur maître, qu’ils refusèrent obstinément
toute nourriture, et moururent de faim.
Il existe de grandes diversités relativement à ce penchant, chez les
animaux comme chez l’homme. Il est des chiens à qui l’on ne peut faire
oublier leur premier maître ; on a beau les envoyer dans une autre ville
à une distance très-considérable, ils reviennent, et leur attachement est
plus vif que jamais. D’autres, au contraire, courent de maison en maison,
d’une personne de leur connoissance à l’autre, sans être jamais fidèles
à personne : il en est de même de tous les animaux. J’ai toujours eu un
grand nombre d’oiseaux, d’écureuils, etc. : les uns n’avoient presque
pour moi que de l’indifférence, et les autres me témoignoientleplus
vif attachement.
Toutes ces observations concourent à prouver que l’amitié n’est point
du tout, comme quelques personnes le prétendent, un sentiment fondé
sur les calculs de l’intérêt, ou sur une sympathie prenant sa source dans
un rapport de la manière de penser et de sentir; les faits nous forcent
d’admettre que ce sentiment est dû à une qualité fondamentale. Si l’on
en excepte l’instinct de la propagation, et celui de l’amour pour la progéniture,
il n’y a guère de qualité qui soit plus indispensable pour l’animal,
comme pour l ’homme, et qui leur procure plus d’avantages et plus de
jouissances.
Sur le mariage, chez l’homme et chez les animaux.
11 est extrêmement difficile de découvrir la sphère d’activité toute
‘ Le chien d’un soldat qui avoit été tuéjen duel, passoit les jours et les nuits sur
le tombeau de son maître; toutes les tentatives pour l’en e’ioigner furent infructueuses,
et l’on finit par construire sur le tombeau uneniche pour cet animal fidèle.