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d etre connu ; c’est celui d’un homme atteint d’une manie périodique
tres-invétérée: ses accès durent ordinairement huità dix jours par mois,
et semblent offrir le contrastele plus parfait avec son état naturel. Pendant
ses intervalles lucides, physionomie calme, air doux et réservé, réponses
timides et pleines de justesse aux questions qu’on lui fait, urbanité
dans les manières , probité sévère, ou désir même d’obliger les
autres, et voeux ardens pour guérir de sa maladie; mais au retour de
1 accès, marqué surtout par une certaine rougeur de la face, une chaleur
excessive dans la tete, et une soif ardente; sa marche est précipitée,
son ton de voix est mâle et arrogant, son regard est plein d’audace, et
il éprouve le penchant le plus violent à provoquer ceux qui l’approchent,
à les exciter et à se battre contre eux avec outrance'».
« Doit-on rapporter, continue M.Pinel, à la manie sans délire quelques
rares modèles dun caractère turbulent et acariâtre, qui ne manifestent
d ailleurs aucune trace d’égarement de la raison, et qu’on a mieux aimé séquestrer
dans des hospices d’aliénés, que de les confondre avec des coupables
dans des maisons de détention. Une ancienne religieuse m’en a fait
voir un exemple frappant à la Salpétrière. Une fille de service en appro-
choit-elle pour lui être utile, elle l’accabloit d’outrages et d’épithètes
les plus envenimées; les autres aliénées les plus calmes n’étoient point
traitées avec plus d égards , et e’étoient sans cesse des cris menaçans-,
des emportemens de colère, et des efforts pour frapper tout ce qui
pouvoit l ’environner. Lui servoit-on ses alimens à l’heure des repas,
elle les jetoit avec indignation, ou les cachoit avec adresse, pour se
plaindre qu’on cherchoit à la faire mourir de faim. C’étoit une délectation
pour elle que de mettre en lambeaux sesvétemens, étalé crier
qu’on la laissoit manquer de tout, et dans un état de nudité. Elle n’osoit
braver l’autorité du chef quand il étoit présent; mais il devenoit en
secret l’objet éternel de ses sarcasmes. Un pareil foyer de trouble et de
discorde devenoit dangereux pour les autres aliénées, et il a fallu lasé-
’ Sur l’aliénation mentale, seconde édition , p. lo i, §. 116.
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questrer dans une loge solitaire, où l’exaspération de ce caractère pervers
et farouche est resté désormais concentrée» ’.
«Un fils unique élevé sous les yeux d’une mère foible et indulgente
prend l'habitude de se livrer à tous ses caprices, à tous les mouvemens
d’un coeur fougueux et désordonné; l’impétuosité de ses penchans augmente
et se fortifie par le progrès de l’âge, et l ’argent qu’on lui prodigue
semble lever tout obstacle à ses volontés suprêmes. Yeut-on lui résister,
son humeur s’exaspère ; il attaque avec audace, cherche à régner par la
force; il vit continuellement dans les querelles et les rixes. Qu un animal
quelconque , un chien, un mouton, un cheval lui donnent du
dépit, il les met soudain à mort. Est-il de quelque assemblée ou de
quelque fête, il s’emporte, donne et reçoit des coups, et sort ensanglanté;
d’un autre côté, plein de raison lorsqu d est calme; et possesseur,
dans l’âge adulte, d’un grand domaine, il le régit avec un sens
droit, remplit les autres devoirs de la société, et se fait connoitre même
par des actes de bienfaisance envers les infortunés. Des blessures, des
procès, des amendes pécuniaires avoient été le seul fruit de son malheureux
penchant aux rixes ; mais un fait notoire mit un terme à ses
actes de violence : il s’emporte un jour contre une femme qui lui dit
des invectives, et il la précipite dans un puits. L instruction du procès
se poursuit devant les tribunaux ; et sur la déposition d’une foule de
témoins, qui rappellent ses écarts emportes, il est condamne à une réclusion
dans l’hospice des aliénés de Bicêtre » j * .
Comme de semblables exemples ne sont que trop fréquens, M. Pinel
dit à ce sujet : « L’expérience indique chaque jour combien il seroit
nécessaire d’avoir, dans un endroit écarté de l’hospice, sept à huit loges
où l’on pût tenir dans un état plus ou moins prolongé d’isolement et
de réclusion, certaines aliénées qui ne sont point furieuses, mais très»
’ Ibidem, p. 280 et 281, §. 237,
* Ibidem, p. 156, §. i5.;.