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possibilité de retourner auprès d’eux pendant la nuit, s’il lui arrivoit
de ne pouvoir résister à son infernale tentation »
Les lecteurs à qui l’examen approfondi d’un sujet aussi important
ne paroîtra pas fastidieux, me permettront d’insérer ici en entier le
récit d’un événement tragique relatif à l’objet que je traite. Ce récit
non-seulement me fournira l’occasion de faire plusieurs remarques, mais
il pourra être utile aux médecins et aux jurisconsultes comme avis et
comme modèle, pour juger des divers degrés de l’aliénation ; les rédacteurs
du journal patriotique de l’empire d’Autriche, l’ont tiré du quatrième
volume duRecueil annuel de législation et de jurisprudence pour
les états autrichiens, publiés par M. le conseiller aulique, F. de Zeiller.
Cause criminelle d’un nomme II**, assassin de deux personnes.
Le 2 décembre 1807 , une femme âgée de cinquante ans, et sa belle-
fille âgée de vingt quatre , furent blessées grièvement à Trieste , pendant
une représentation théâtrale, dans une loge du parterre. L auteur
du fait s’avança en criant : « Voilà celles qui m’ont assassiné » ; et restant
en place, se laissa tranquillement arrêter. La première des deux
femmes n’avoit reçu qu’une seule blessure ; mais suivant l’avis des gens
de l ’art, elle étoit mortelle, et occasionna en elfet sa mort quelques
minutes après. On découvrit sur la seconde personne cinq blessures
dont une étoit très-dangereuse, et l’autre mortelle ; cette femme mourut
à trois heures après minuit.
Le meurtrier, nommé H“ , né à Trieste, âgé de vingt-sept ans , célibataire
, étoit courtier de navires. Dans l’interrogatoire sommaire qu’on
lui fit subir aussitôt après son arrestation, il répondit à la première
question : « qu’il étoit arrêté parce qu’il s’étoit défait des deux femmes
« qui l’a voient assassiné». L’officier de garde, en l’arrêtant, lui prit un
écrit rédigé avec, beaucoup de soin, et dans lequel les motifs de son
crime étoient très-détaillés. Le coupable pria cet officier de le lire, le
confirma de vive voix, et même le signa. Voici ce qu’apprirent ses réi
T. II, Sect. III, p. ao5, 306.
ponses aux questions ultérieures que lui adressa la justice ; il avoit
achevé cet écrit la veille; ayant alors senti se renouveler avec plus de
force les peines que lui causoit sa malheureuse destinée dont les persécutions
des femmes assassinées étoient le principe, il avoit formé le
projet de tuer ces deux personnes. Comme il ne pouvoit exécuter ce
dessein chez elles , ni dans la rue , il alla, le lendemain, au théâtre;
ne les ayant pas vues, en entrant, dans la loge où elles avoient coutume
de se placer, il les attendit hors de la salle. Lorsqu’elles arrivèrent, il
rentra, leur laissa le temps de s’asseoir dans leur loge, puis il en ouvrit
la porte, et effectua son projet. « Je n’ai jamais eu l’intention, ajouta-t-il,
« de me soustraire au bras de la justice, malgré la facilité que j’avois
« de fuir par terre ou par mer dans le royaume d’Italie. Que Dieu me
« soit propice. Je me soumets à ce qu’ordonnera la justice ». Les circonstances
de l’assassinat furent confirmées le même soir par la jeune
femme blessée à mort, et par un individu qui s’éloit trouvé dans la
loge, et qui, lorsque le premier coup fut porté, étoit sorti pour appeler
du secours.
L’écrit rédigé par le meurtrier comprend quatre feuilles de papier ;
il est en italien, les idées ont de la suite, le style en est coulant. Il est
intitulé : «Exposé sommaire de la vie que j ’ai presque toujours menée
« depuis huit ans ». Nous en allons donner un extrait en laissant de
côté les fréquentes répétitions, et les circonstances qui sont absolument
inutilespour juger le fait ou son auteur.
La position effrayante et presque sans exemple dans laquelle se trouve
l’auteur, dit cet écrit, doit son origine à la plus âgée des deux femmes
qu’il a tuées. Il demeuroit vis-à-vis d’elle depuis douze ans ; elle l ’a rendu
malheureux par les artifices diaboliques de l’astrologie. Il y a environ
huit ans qu’il remarqua aux manières de Thérèse, fille d’un négociant
avec laquelle il se rencontroit souvent au théâtre et ailleurs, qu’elle
étoit éperduement amoureuse de lui. Il ne put répondre à cet amour,
parce que la femme impie dont il vient de parler l’avoit privé de sa
raison, et avoit endurci son coeur. Il chercha cependant à être admis
dans la maison du négociant, mais il fut éconduit poliment. Pour faire
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