
humaine, que quelques coins obscurs vers les extrémités. Après cela,
peut-on encore s’indigner de voir une grande et fastueuse nation, se
placer avec complaisance au-dessus de tous les peuples? Doit-on encore
s’étonner qu’une autre grande et aimable nation chante tous les jours
ses arts, ses sciences, sa culture, ses institutions, son caractère national,
même son ciel, et les considère comme des prérogatives appartenant
exclusivement.à elle seule?
J’aime encore la vanité, parce qu’elle fait naître mille besoins artificiels,
qu elle augmente les commodités de la vie, qu’elle embellit nos
habitations, et parce qu’elle occupe et nourrit les mains industrieuses.
C’est à elle, en grande partie , que nous sommes redevables de l ’état
florissant des arts et des sciences. Les collections des objets de dessin,
de sculpture, de peinture, d histoire naturelle, les bibliothèques ; enfin
nos jardins, nos monumens , nos palais , et même nos temples seroient
ou nuis ou mesquins, sans l’inspiration de la vanité, de l’amour de
la distinction.
C’est ainsi que le luxe et l’ostentation, loin d’être la source de la
corruption et de la ruine des peuples, deviennent le mobile et l’appui
des arts, des sciences, l’ame du commerce, l’agent de la grandeur et de
l’opulence nationales.
Enfin, c’est encore ce même sentiment, la vanité qui, sans qu’on
s’en doute, ouvre la main du riche, et répand ses largesses sur la
misère et sur l’indigence. Certes ! c’est un beau précepte que celui qui
veut que la main droite donne , et que la main gauche l’ignore : mais
c’est exiger trop de vertu, en même temps que nous désirons le soulagement
du malheur. Prônez les aumônes , les bienfaits, les munificences,
vous ajoutez un puissant motif à la charité; vous la commandez,
vous l’arrachez même à l’insensibilité et à l’avarice.
Après avoir envisagé sous ce point de vue la vanité, quel seroit le
censeur qui voudroit encore lui déclarer la guerre!
Il est vrai, la vanité est souvent l’apanage de la médiocrité, le cachet
de la sottise, et dès-lors l’homme vain jouit d’un titre acheté ; il se croit
du crédit, parce qu’il est reçu , avec la foule , chez un grand ; il met un
prix exagéré à ses qualités minutieuses ; son amour-propre excite la pitié,
et prête même assez souvent au ridicule. Mais pourquoi serions-
nous jaloux de quelques petites jouissances d’un être inférieur? Et que
sont ces légers désavantages auprès des beaux résultats que la vanité
produit, lorsqu’elle agit conjointement avec des qualités et des talens
supérieurs?
La vanité, toutefois, ne peut plus être excusée , lorsqu’elle devient
la source de l’envie, de la jalousie, delà calomnie; lorsqu’elle fait des
efforts pour empiéter sur le mérite d’autrui ; lorsqu’elle est empressée
à atténuer les qualités, et à grossir les défauts de ceux qui lui font
ombrage; lorsqu’elle est honteuse des bienfaits reçus; lorsqu’elle sème
la discorde, engendre l’inquiétude et même la haine; lorsqu’elle repousse
les avis et les conseils, et quelle aveugle l’homme sur ses propres
faiblesses.
Je n’ai pas besoin de prouver que l’amour-propre, la vanité , l’ambition
existent à des degrés difïérens dans les différens individus. Que
l’on observe les enfans : les uns sont insensibles à toutes les humiliations
; les autres sont très-mortifiés de la moindre réprimande. Voyez
les coupables exposés au carcan : les uns sont anéantis par la honte,
tandis que les autres jettent sur les spectateurs un regard plein de dédain,
d’indifférence et d’effronterie ; preuve évidente que les châtimens
égaux devant la loi, varient d’intensité, selon qu’ils sont appliqués à
différens individus, et que les plus endurcis au crime se trouvent d’ordinaire
les moins punis.
On a l’habitude de reprocher au beau sexe d’avoir plus de vanité
dans les choses futiles que les hommes. Les femmes savent que la
toilette rend leurs charmes plus piquans ; qu’aux yeux des hommes
elle donne du relief à leurs autres qualités. Ainsi, cette aimable foi-
blesse témoigne en faveur de leur désir de se rendre dignes de notre
approbation. Mais lorsque je vois cet essaim de petits-maîtres, de fats,
tous esclaves des modes les plus extravagantes ; lorsque je vois les
hommes venir en foule aux promenadesles uns à cheval, les autres dans
des voitures élégantes , et convoiter l’admiration des oisifs ; lorsque je