
chez qui il avoit travaillé auparavant le peignirent comme un jeune
homme rangé , assidu, sérieux, et souvent très-rêveur , mais en même
temps entêté , fier, et surtout très-vain de sa figure. Son père et ses
parens dirent qu’il avoit toujours joui d’une bonne santé, ne s’étoit
adonné à aucun excès ; qu’il étoit d’un caractère tranquille , et avoit
fait du bien à son père et à sa mère. Lorsque les trois jours de réflexions
furent écoulés, le tribunal lui ayant demandé ce qu’il pouvoit dire
pour sa défense, il répondit : « Je ne savois ce que je faisois, car je
« suis un fou et un insensé ».— Deux jours après, un ecclésiastique
remit au tribunal un écrit de sa main , par lequel il certifioit que
quatre ou six jours après l’assassinat, le père du prévenu étoit venu se
confesser à lu i , et que la confession achevée il lui avoit dit qu’à la
vérité la conduite de son fils avoit toujours été tranquille et rangée,
mais que depuis sa plus tendre jeunesse il avoit toujours donné quelque
signe de folie vers le temps de la nouvelle lune, en faisant du
tapage dans la maison, et en jurant ; qu’à certaines époques il avoit
quitté la maison , et entrepris des voyages plus ou moins éloignés.
Comme le père du prévenu avoit déjà été entendu dans sa déposition
orale, le tribunal ne fit pas usage de ce certificat.
Lors des délibérations qui eurent lieu aux tribunaux inférieur et supérieur
sur la question de savoir si le prévenu avoit agi dans un état où
l’on pût lui imputer son action à crime , les opinions furent partagées ;
le tribunal supérieur décida que toutes les pièces delà procédure seroient
communiquées à la faculté de médecine de Vienne, afin qu’elle fixât
les points sur lesquels les gens de l’art de Trieste auroient à donner leur
avis, pour qu’on pût ensuite juger en connoissance de cause si le prévenu
avoit commis le fait, étant dans son bon sens, ou ayant l’esprit
dérangé.
La faculté estima que les trois questions suivantes dévoient être proposées
aux gens de l’art de Trieste.
i°. Résulte-t-il de la procédure et des circonstances que l’on a recueillies
, que le prévenu pendant ou après l’assassinat, ait été attaqué
de folie ?
2«. Si l’on prétend que la folie a eu lieu à une des époques citées, par
quels faits et par quelles circonstances le prouve-t-on? 3°. Quelles idées les gens de l’art de Trieste attachent-ils au mot de
maniaque?
La faculté émit aussi dans ce rapport l’opinion que le prévenu n’avoit
été atteint de folie, ni après, ni avant, ni pendant l’assassinat.Il n en a
point été atteint après l’assassinat, parce qu’aucune des actions et des
circonstances mentionnées dans le procès-verbal ne l ’attestent, parce
que les médecins qui assistèrent au premier interrogatoire déclarèrent
que le prévenu étoit dans son bon sens, et que ceux qui l’examinèrent
ensuite dirent que sa folie étoit feinte ; parce que 1 allégation du prévenu
qui s’est dit fou et insensé, prouve précisément le contraire,
attendu qu’un homme qui est réellement insensé, ne peut s annoncer
pour tel. Il ne résulte pas non plus de la procédure une seule action
ou circonstance par lesquelles on puisse prouver légalement que le
prévenu ait été atteint de folie avant ou apres 1 assassinat. Qu on se
rappelle simplement comment le fait s’est passé. Un jeune homme né
dans une condition inférieure, entête, plein d amour-propre, d ailleurs
tranquille, laborieux et en très-bonne santé^ devient amoureux d une
femme jeune et jolie qui demeure vis-a-vis de lui. 11 cherche pendant
deux ans l’occasion de la voir, et au spectacle il se place toujours près
de sa loge , afin de la mieux considérer: sa passion pour elle atteint le
plus haut degré d’exaltation, et sans lui avoir parlé, sans lui avoir découvert
son penchant, il projette de la tuer elle et sa compagne constante,
parce qu’il lui semble qu’il ne pourra pas arriver avec elle à son
but, et qu’il veut se délivrer de ses souffrances. Tout ce que l’on voit
dans la procédure sur la conduite du .prévenu, tant la veille que le
lendemain de l’assassinat, n’offre pas le plus léger indice de démence,
d’impuissance de faire usage de sa raison ; tout annonce au contraire
de la réflexion et l’usage de la raison. Le prévenu projette l’assassinat,
choisit le temps, le lieu , les moyens, les circonstances pour l’exécuter
et pour assurer sa réussite; sa résolution chancelle, il combat longtemps
avec lui-même, parce qu’il connolt les conséquences de son