
tune, ni pour en acquérir une nouvelle, et que ce malheureux orgueil
étoit l’unique cause de sa misère. Ceci me fit souvenir des personnes
qui ne se coupent jamais les ongles, afin de réveiller l’idée qu’elles
n’ont aucun besoin de travailler. Je lui fis cependant plusieurs observations,
et je lui témoignai que je doutois de sa véracité, mais il reve-
noit toujours à sa fierté, et m’assura que même maintenant il ne pour-
roit se résoudre à aucune espèce de travail. Quoique j’eusse peine à
concevoir comment par orgueil un homme peut aimer mieux mendier
que de travailler, la persévérance à revenir toujours à la même cause
m’engagea à réfléchir sérieusement sur l’orgueil et la fierté.
Je me rappelai vivement le geste grave et hautain avec lequel l’un
de mes cousins droit son mouchoir, le ployoit et le remettoit dans sa
poche; à l ’âge de sept ans, lorsque j’en avois tout au plus six , j’étois
choqué par ses airs de fatuité et d’orgueil. Ce garçon dédaignoit aussi
toutes les occupations auxquelles on avoit coutume de se livrer dans
ma famille, et ne vouloit rien apprendre de ce qui s’y rapportoit : il
vouloit être militaire. A Vienne, un prince se faisoit remarquer par
son orgueil ridicule, par sa démarche guindée, par son habitude de
citer à tout propos ses aïeux avec emphase. Heureusement, il étoit
chauve dans la même région de la tête où j’avois remarqué la proéminence
dans celle du mendiant, et je pus m’assurer qu’il avoit la même
conformation. Ces faits suffirent pour me faire naître l ’idée que l’orgueil
doit être considéré aussi comme une qualité fondamentale, fondée sur
un organe particulier du cerveau.
Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de prouver à mes lecteurs que
l'orgueil, la fierté, la hauteur est une qualité innée , et nullement une
qualité acquise. 11 n’est personne qui dans le cercle de ses connois-
sances ne trouve des exemples d’hommes orgueilleux et fiers, et par-
conséquent des preuves de mon assertion. Je n’exposerai donc que
très-succinctement l’histoire naturelle de l’orgueil.
Histoire naturelle de l ’orgueil, de la hauteur, de la
bonne opinion de soi-méme, dans l’état de santé.
Fierté, orgueil, arrogance, dédain, suffisance, présomption , insolence,
etc., dérivent de la même source. Modifiés par divers degrés
d’intensité d’action et par l’influence variée d’autres qualités, ils sont
tous la manifestation du même organe. Je passe donc sous silence les
discussions des grammairiens et d’autres auteurs sur la valeur de chacune
de ces modifications, et je m’attache à examiner le rôle que chacune
joue, et devoit jouer dans l’espèce humaine.
' « Les hommes ont tous une tendance au despotisme , dit Charles-
George Leroy; mais comme il n’y a guère de voeux durables sans espérance,
la tendance au despotisme est limitée dans la plupart d’entre
eux par le sentiment de l’impuissance; et elle se borne à acquérir la
supériorité dans la classe où l’on peut espérer de s’élever. 11 en résulte
seulement dans chaque homme un désir in quiet d’élévation qui l’éveille,
le tourmente et le tient souvent agité pendant toute sa vie. L’idée de
distinction étant une fois établie, elle devient dominante, et cette
passion subséquente anéantit celle qui lui a donné la naissance. Dès
qu’un homme s’est comparé avec ceux qui l ’environnent, et qu’il a
attaché de l’importance à s’en faire regarder, ses véritables besoins ne
sont plus l’objet de son attention ni de ses démarches. S’il ne peut pas
être, il veut au moins paroître ; et delà , dans la plupart, le goût de la
décoration extérieure et dé tout l’appareil qui peut donner aux autres
l’idée du pouvoir......Si l’on n’espere pas attirer sur soi les regards de
l’univers ou d’une' république entière, on se contente de se faire remarquer
de ses voisins, de primer sur ses égaux ; et l’on devient heureux
par l’attention concentrée de son petit cercle....... Ce désir par
lequel chacun tend à monter au-dessus de la place qui lui est assignée,
semble être en contradiction avec une pente à l’esclavage qu’on remarque
dans la plupart des hommes, et qui cependant n’est encore qu’une
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