
On m’interrogea sur le caractère d’une jeune dame. Comme elle a les
cheveux très-clairs, je pus m’apercevoir, sans examen préalable, qu’elle
a l’organe de la circonspection fort bien développé ; je déclarai donc
quelle étoit circonspecte et prudente jusqu’à l’excès. A l’instant, sa
mère me cita tant de faits à l’appui de mon jugement, que j’ai cru
qu elle ne finiroit jamais. La jeune dame tousse un peu ; la voilà déjà
morte d’une maladie de poitrine; les yeux lui cuisent, elle va devenir
aveugle; et au lieu d’étre un jour le soutien de sa mère, elle ne sera
pour elle qu’une charge : qui donnera des soins à cette mère infortunée
dans sa vieillesse! Un paiement n’est pas rentré, comment vivrons
nous ? Il faudra envoyer tous nos effets au mont-de-piété ; il
faudra tout vendre , faire des emprunts, les intérêts absorberont nos
revenus; nous finirons par mourir dans la plus affreuse misère, etc.
Les deux malades q u i, quoique fort à leur aise, craignoient de
mourir de faim, avoient l’un et l’autre la tête extrêmement large. Le
malade qui brisa le fusil à vent et les pistolets, a non-seulement la
tête très-large; on voit même chez lui sur-chaque côté des pariétaux,
une proéminence très-saillante en segment de sphère ; ce qui dénote
un développement extraordinaire de la partie cérébrale subjacente. En
général la plupart des mélancoliques présentent cette organisation,
qui cependant dans l ’état d’une bonne santé, n’est pas toujours préjudiciable
au calme et au contentement de lame.
Comme les deux malades , avant qu’ils ne fussent guéris, étoient
singulièrement tourmentés par le penchant au suicide , et que le
troisième, dont je n’ai pu obtenir la guérison , est encore souvent sur
le point de se précipiter par la fenêtre, j’ajouterai encore quelques
remarques sur ce mal terrible, et sur une des causes de ses rechutes
ou de sa périodicité. Cet examen offrira d’autant plus d’intérêt, que
nous y trouverons l’explication de plusieurs phénomènes qui se présentent
aussi bien dans l’état de santé que dans celui de maladie , et surtout
dans les aliénations mentales.
Encore quelques considérations sur le suicide et sur
Vune des causes de ses rechutes et de sa périodicité.
J’ai déjà parlé du suicide', tant simple que compliqué, dans le traité
sur les dispositions innées. Le tableau fidèle que j ’en ai fait d’après des
observations réitérées, auroit dû donner aux lecteurs une autre idée
que celle que l’on en a encore trop communément.
On prétend que les personnes qui sont plus particulièrement susceptibles
d’en ressentir les tristes atteintes , sont celles qui ne savent pas
allier les occupations utiles avec les distractions purement agréables ;
qui s’abandonnent entièrement aux plaisirs des sens; qui toujours le
coeur vide, ne peuvent vivre avec elles-mêmes; alors, ayant épuisé
toutes les jouissances, elles meurent d’ennui faute de nouvel aliment.
Sont encore, ajoute-t-on, et bien plus peut-être exposés à cette maladie,
ces jeunes gens qui ont une imagination ardente , exaltée, un
esprit romanesque , rempli de ces folles illusions que quelques philosophes
et romanciers se sont plus à présenter comme'des réalités.
Epris de ce bonheur idéal, ils le recherchent partout ; et quand ils ont
essayé en vain de le rencontrer, désabusés de leurs chimères, la vie
leur devient insupportable.
Sans doute, tout ce qui peut produire le dégoût de la vie, ou jeter
l’homme dans un extrême désespoir, peut devenir la cause du suicide.
La perte de sa fortune, de son honneur; la perspective d’une mort
cruelle ou ignominieuse ; la destruction de son bonheur domestique, la
jalousie; l’impuissance de se venger qui fait tourner sa propre fureur
contre soi-même; le manquede force pour supporterdes maux physiques
ou moraux, accompagné de l’idée ou d’une cessation entière de son
moi, ou d’un avenir plus heureux; quelquefois même la contagion
opérée par d'autres exemples de suicides ; très-souvent une malheureuse
constitution héréditaire, etc. : et plusieurs autres circonstances enfin
peuvent déterminer un individu à s’arracher la vie. Ainsi un traité com