
qu’une autre paire veut s’emparer d’un lieu déjà occupé, il s’élève une
guerre très-animée, dans laquelle les intrus sont toujours forcés à la
retraite. Ces faits sont connus de tous les chasseurs et de tous les naturalistes,
et mes propres observations les ont constamment confirmés.
Celui qui ’voudra les répéter devra marquer les vieux et non les jeunes;
car chez les animaux il en est de même que dans notre espèce, le père
et la mère restent dans leur établissement, et les enfans et les jeunes
se dispersent.
Que l’on observe un troupeau de vaches au retour du pâturage;
chacune d’elles rentre non-seulement dans son étable accoutumée,
mais elle reprend encore sa propre place , et ne souffre pas qu’une
autre s’y mette. On voit la même chose pour les oies et les cochons.
Chacune des milliers d’abeilles qui reviennent chargées, rentre dans
sa ruche, et malheur aux abeilles pillardes qui entreprennent de mettre
à contribution une ruche étrangère! Avec quel courage tous les animaux
ne défendent-ils pas leur nid, leur femelle, leurs petits! Quelle
téméraire intrépidité le chien ne montre-t-il pas dans la maison de
son maître ! Avec quelle audace inspirée par le sentiment de la propriété
ne défend-il pas son os contre un chien plus fort que lui ! Le cerf
conduisant son harem, a la démarche fière, le regard assuré, et semble
menacer quiconque empiéterait sur ses droits. Il n’est pas d’animal conducteur
qui renonce aux prérogatives que lui ont acquises sa force et son
adresse, et qui sont sanctionnées par l’assentiment de tous les membres
de la république.
Le chien et le chat qui cachent des provisions auxquelles ils ne
recourent que lorsque la faim les presse; l’écureuil r le hamster, le
geai, qui s’approvisionnent pour l’hiver, n’auroient-ils pas le sentiment
que leur grenier d’abondance est leur propriété? Sans ce sentiment,
pourquoi cette ardeur d’amasser des provisions, cette sollicitude
de les cacher? Où voyons-nous dans la nature une contradiction semblable
entre les instincts des animaux et le but de ces instincts? Donc,
les moeurs des bétes prouvent que le sentiment de la propriété est
inhérent à leur nature.
La propriété est une institution de la nature chez
l’homme.
Toujours encore on voudrait insinuer que l’idée de propriété est
inconnue aux sauvages : « L idée de propriété n existe point chez les
sauvages, dit M. Cuvier, ils ne sauraient se faire du vol la même
opinion que les peuples civilisés ». Voici ce que nous apprennent sur
ce sujet les voyageurs Lafitan, Charlevoix, et 1 histoire des Caraïbes.
Dans une tribu qui ne subsiste que par la chasse'ou la pêche, les
armes, les ustensiles et les fourrures que porte l’individu, sont pour lui
les seuls objets de propriété, mais toujours propriété. La nourriture
du lendemain est encore vivante et libre dans les forêts, ou cachee
dans les taux; il faut qu’elle soit prise avant que d’être sa propriété ;
et même alors , quand elle est une acquisition faite par plusieurs réunis
pour chasser ou pêcher en commun , elle appartient à la communauté.
Elle est employée au besoin présent, ou à augmenter le magasin public ;
ainsi encore propriété, non d’un seul, mais de tous ceux qui l’ont
acquise;
Partout où les nations sauvages joignent à la pratique de la chasse
quelque espèce d’agriculture grossière , comme dans presque toutes
les parties de l’Amérique , elles suivent toujours l’analogie de leur
objet principal, à 1 égard du vol et des fruits de la terre. Les femmes
labourent en commun, comme les hommes chassenten commun; après
avoir partagé les travaux de la culture, on partage les produits de la
récolte. L’étendue de terre qu’on a cultivée, de même que le district
où l’on a coutume de chasser, est réputé la propriété de la nation,
mais elle n’est point assignée par elles aux membres de la nation. On
va en bandes préparer la terre, semer, planter et recueillir. La récolte
est serrée dans le grenier pubÜG, et ensuite se distribue aux différentes
familles pour leur subsistance. Lorsque la nation fait quelque commerce
avec les étrangers, les retours même des marchés sont apportés
à la même commune.