
Dans la gravure du Marquis de Toiras, qui excella dans tout ce qui
regarde la chasse, et dont la principale passion fut celle des armes, je
trouve cette organisation exprimée a un très-haut degre.
J’ai dit ailleurs que les peintres, les dessinateurs, les graveurs et les
sculpteurs sacrifient la vérité à des principes erronés du beau, et tachent
de rendre moins frappantes les formes insolites qu’ils trouvent
quelquefois dans leurs modèles. Il se rencontre cependant de temps en
temps des formes si frappantes, que la ressemblance du portrait en dépend
absolument ; et dans ces cas les artistes sont forcés de rester, malgré
eux, fidèles à la nature. C’est ainsi que nous obtenons quelques portraits
exacts d’individus remarquables.
Les bustes et les portraits deCaligula, de Néron, de Sylla, de Sep-
time-Sévère, le plus cruel et le plus belliqueux des empereurs romains,
de Charles IX, de Richard Coeur-de-Lion, de Philippe II d’Espagne,
de la sanguinaire et cruelle Marie I d’Angleterre, de Catherine de Mé-
dicis, de Ravaillac, du fameux corsaire Storzenbecker, du furieux et
sanguinaire Knipperdolling, PI. L X IX , fig. 2, et de Bonnet, évêque,
qui dans l’espace de quatre ans a fait périr par les flammes plus de
deux cents victimes, etc., portent la marque extérieure d’un caractère
cruel et sanguinaire.
Suivant qu’une grande activité de cet organe co-existe avec une où
plusieurs autres qualités ou facultés également très-actives, l’action de
cet organe doit être nécessairement modifiée de difîéFentes manières.
Co existant avec l’amour des combats, il constitue le guerrier intrépide
jusqu’à la témérité, le brigand le plus indomptable , etc.
Réuni avec un haut degré de lasciveté , il constitue ces débauchés,
qui, comme Néron, l’auteur de Justine et le comte de Cliarolois, ensang
l a n t e n t leurs débauches, et immolent les mêmes victimes à leur luxure
et à leur rage sanguinaire.
En traitant des penchans au vol, à l’orgueil, à la dévotion , etc., je
dirai comment le penchant au meurtre se modifie quand il est accompagné
de ces différens penchans.
Je connois encore une tête qui, quant à 1 organe du meurtre, se
rapproche de celle deMadelaine Albert et de laBouhours; seulement,
la nature l’a exécutée sur une plus grande échelle. Voir souffrir estpour
cet homme la plus grande jouissance; qui n’aime pas le sang est méprisable
à ses yeux; dans sa colère, ses lèvres tremblent et écument,il
foule son chapeau à ses pieds. La ruse, l’astuce, le parjure, l’assassinat
ne lui ont jamais coûté pour arriver à ses fins. Les moissons détruites,
les villages et les villes en cendre, la terre inondée de sang et couverte
de cadavres : voilà le spectacle le plus sublime ! Arracher le fils
des bras de sa mère, le dernier soutien de la veuve et du vieillard;
condamner les filles au célibat, conduire à la boucherie, tous les ans,
la fleur de la jeunesse de son malheureux pays, dépeupler des provinces
entières, faire périr des millions de ses semblables, anéantir l’opulence
et le bonheur domestique des nations : tout ceci n’est rien
pour lui, pourvu qu’il ait la gloire d’être nommé le plus grand capitaine
du monde.
Tout ce que je viens de rapporter doit faire comprendre à mes lecteurs
pourquoi Montaigne lui-même qui avoit probablement réfléchi
sur de pareils faits, n’a pas pu s’empêcher de s’exprimer ainsi :
« A peine me pouvois-je persuader , avant que je l’eusse vu , qu’il
se fût trouvé des âmes si farouches qui, pour le seul plaisir du
meurtre, le voulussent commettre; hacher et destrancher les membres
d autrui, aiguiser leur esprit à inventer des tourmens inusités, et
jouir du plaisant spectacle des gestes et mouvemens pitoyables, des
gémissemens et voix lamentables , d’un homme mourant en angoisses;
car voilà l’extrême point où la cruauté puisse atteindre : ut
homo hominem , non iratus , non timens , tantum spectaturus
occidat. Senec. epist. 90. — 2.
« Je ne prends guères bête en vie à qui je ne redonne les champs ;
Pythagoras les acheloit- des pêcheurs et des oiseleurs pour en faire
autant. Les naturels sanguinaires à l’endroit des bêtes, témoignent
une propension naturelle à la cruauté. Après qu’on se fut apprivoisé
à Rome aux spectacles des meurtres des animaux, on vint aux hommes