
moment où il a ce pressentiment, il demande avec instance qu’on le
garotte, qu’on le charge de chaînes pour l’empêcher de commettre un
crime affreux. « Lorsque cela me prend, dit-il, il faut que je tue , que
j’étrangle, ne fut-ce qu’un enfant. Sa mère et son père, que du reste
il chérit tendrement, seroient dans ses accès les premières victimes de
son penchant au meurtre. Ma mère, s’écrie-t-il d’une voix terrible,
sauve-toi, ou il faut que je t’étouffe ».
« Avant l’accès, il se plaint d’être accablé par le sommeil, sans cependant
pouvoir dormir; il se sent très-abattu, et éprouve de légers
mouvemens convulsifs dans les membres. Pendant ses accès, il conserve
le sentiment de sa propre existence ; il sait parfaitement qu’en
commettant un meurtre il se rendroit coupable d’un crime atroce.
Lorsqu’on l ’a mis hors d’état de nuire, il fait des contorsions et des
grimaces effrayantes, chantant tantôt et parlant tantôt en vers : l’accès
dure d’un à deux jours. L’accès fini, il s’écrie : Déliez-moi; hélas! j’ai
cruellement souffert, mais je m’en suis tiré heureusement puisque je
n’ai tué personne ».
Une femme enceinte fut saisie d’un penchant irrésistible à tuer son
mari et à le manger ; elle le sala, afin de pouvoir s’en nourrir pendant
plusieurs mois.
M. Fodéré cite aussi des exemples de la grande activité du penchant
au meurtre dans la manie , entre autre un jeune homme âgé
de vingt-cinq ans, qui avoit porté plusieurs fois des mains parricides
sur son respectable père, et qui étoit enfermé pour cela dans une
maison de fous; il étoit toujours fort propre de sa personne, et par-
roissoit très-sensé ; ce qui me fit entreprendre, dit M. Fodéré, d’exciter
en lui quelques remords, mais il ne voulut jamais convenir de
l ’énormité de son crime, et il me mesura fort souvent pour me
frapper, tout en ayant des manières extrêmement polies '.
Jamais ce penchant n’a un caractère plus atroce que lorsqu’il est ac-
■ Traité du Délire appliqué à la médecine, par M. Fode’ré, Tome I"., p. 4oi,
§• 196.
«
compagné de visions. M. Pinel cite l'exemple suivant : « Un ancien
« mairey dont la raison avoit été égarée par la dévotion, crut, une
(i certaine nuit, avoir vu en songe la Vierge entouree d un choeur des-
« prits bienheureux, et avoir reçu l’ordre exprès de mettre à mort un
« homme qu’il traitoit d’incrédule : ce projet homicide eut ete execute,
« si l ’aliéné ne se fût trahi par ses propos, et s’il n’eût été prévenu par
« une réclusion sévère ». ^Sur l’aliénation mentale, deuxieme édition,
p. i 65, § i 63). Le même auteur parle aussi d’un vigneron crédule,
dont l'imagination fut si fortement ébranlée par le Sermon d un missionnaire,
qu’il croyoit être condamne aux brasiers eternels, et ne
pouvoir empêcher sa famille de subir le même sort que par ce qu on
appelle le baptême de sang ou le martyre. « Il essaye d abord de cornet
mettre un meurtre sur sa femme qui ne parvient quavec la plus
a grande peine à échapper de ses mains; bientôt après, son bras forte
cené *se porte sur deux de ses enfans en bas âge, et il a la barbarie
et de les immoler d,e sang-froid pour leur procurer la vie eternelle ; il
t* est cité devant lès tribunaux, et durant l’instruction de son procès,
« il égorge encore un criminel qui étoit avec lui dans le meme cachot,
te toujours dans la vue de faire une oeuvre, expiatoire. Son alienation
et étant constatée, on le condamne à être renfermé pour le reste de sa
et vie dans les loges de Bicêtre. L ’isolement d une longue détention
te toujours propre à exalter l’imagination, l’idée d avoir échappé à la
« mort , malgré l’arrêt qu’il suppose avoir été prononce parles juges ,
et aggravent son délire, et lui font penser qu’il est revêtu de la toute-puis-
et sance, où, suivant son expression, qu’il est la quatrième personne de
et la Trinité, que sa mission spéciale est de sauver le monde par le bap-
« tême de sang, et que tous les potentats de la terre réunis ne sauroient
te attenter à sa vie. Son égarement est d’ailleurs partiel comme dans tous
« les cas de mélancolie, et il se borne à tout ce qui se rapporte à la reli-
« gion ; car sur tout autre objet il paraît jouir de la raison la plus saine.
« Plus de dix années s’étoient passées dans une étroite réclusion , et
« les apparences soutenues d’un état calme et tranquille déterminèrent
« à lui accorder la liberté des entrées dans la cour de l’hospice avec