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C’est, à notre avis, une grave erreur, que de se représenter les régions
planitiaires en aval des glaciers comme couvertes d’une végétation exclusivement
arctico-alpine, parce que l’étude des tourbières relate la présence d’espèces alpines en
aval des glaciers pendant les temps glaciaires. Sans doute, la jihase à Drya s dans
les niveaux profonds des tourbières jilanitiaires indique par sa généralité un climat
t n r f iqne bien plus extrême (pie dans nos tourbières actuelles. Mais il y a une grande
différence entre le milieu spécial de la tourbière et les conditions (jui régnent parfois
à quelques mètres d’elle. Lorsqu’on récolte les Y i o l a pal us t r i s, Sw e e r t i a
pe r e n n i s et Saxi f raga Hi rcul i is dans les tourbières bassement situées de la
zone des forêts du Jura méridional, personne ne s’étonne d’observer à très peu de
distance des espèces aussi thei'inopliiles que les Arabi s a n r i c u l a t a , Cent r a n t l u i s
angus t i f oli lis. H utchin sia pet r a e a , Scrophul ar ia canin a, Pl a nt ago Cynop s etc.
Ce sont là des exemples de juxtaposition en grand. A quelles conclusions n’arriverait
on pas sur le climat actuel si on devait en juger par la seule étude des
tourbières, abstraction faite des autres formations!
Un deuxième point de repère pour se rendre compte de ce qu’était la
végétation en aval des glaciers pendant la derière période glaciaire nous est fourni
par les tufs du Lautaret, découverts jiar M. K i l l i a n '). Ces tufs, dont la formation
correspond aussi à une phase d'oscillation du glacier en retrait lors de la dernière
extension glaciaire, sont situés à 1300 m d’altitude. La position des moraines
correspond, d’aprés M. P e n c k , à nue ligne des neiges permanentes située à 2700 m.,
soit 400 mètres jilus bas qu'actuellement. M. F l ic h e y a reconnu une flore alpine-
subalpine avec Rh o d o d en d r o n f e r ru g in e um, Salix n igr i cans, S. Myrs i n i t e s ,
S. ar bnsci i la, S. r e t i c u l a t a ; puis une flore silvatiqne avec Sal ix p e n t a n d r a ,
S. g r a n d i f o l i a , Pinns montana , Sorbus ai ici ipar ia etc. Comme aujourd’hui,
les arbrisseaux alpins et subalpins, puis les essences forestières suivaient pas à pas
le glacier dans sa retraite.
Conclusion: le s fai ts pos i t i f s r ecue il l i s sur la v é g é t a t i on en aval
des gl a c i e r s p en d an t la de r ni è r e pé r i ode g la c i a i r e sont t o u t à fai t cont
r a i r e s à l’op ini on qne les r égi ons en aval p o s s é d a i e n t une f lore arct ico-
al pine sur de vas t e s surfaces. Les f o r êt s su i v a i e n t n o rma l eme n t les
gl aci er s au fur et à me su r e que ceux- ci se r et i r a ient .
Cette conclusion ne s’applique, cela va sans dire, qu’aux Alpes occidentales.
Rien, dans un domaine comme celui-ci, n’est plus dangereux que les généralisations
hâtives. Il est clair qne si, par ailleurs, les basses régions dans lesquelles aboutissaient
les glaciers étaient dépourvues de forêts, celles-ci n’auront pas pu suivre les glaciers
lors de leur retrait. Sur les versant N. des Alpes, les »poches« à lignites intercalées
dans l’erratique würmien nous font admettre que des forêts existaient aussi en aval
des glaciers, et cette opinion est partagée par M. P e n c k , pour lequel les forêts ont
suivi de près la retraite des glaciers dans les bassins de l’Inn, de l’Enns, de la
1) K i l l i a n , Sur les tufs calcaires du col du Lautaret (Hautes alpes). (Comptes rendus
Acad. Sc. Paris, L Oct. 1894 et Trav. du lab. de géol. Grenoble III, p. 2 9 9 , 1894/95.) — K i l l i a n
et F l i c h e ap. P e n c k u. B r ü c k n e r , op. cit. p. 732 et 733.
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Traun, etc.'). Mais même pendant la phase rissienne. lors du maximum de glaciation,
il nous paraît extrêmement improbable que les essences ligneuses aient entièrement
disparu de l’Europe au nord des Alpes, ce qui soulèverait des problèmes difficiles
relativement à l’origine de la riche végétation forestière des phases interglaciaires sur
le versant N. des Alpes. Si les tourbières, et ]ieut-être même les formations tundriques,
ont pris à cette époque un grand développement, si les arbres, réduits dans leur
fréijuence et dans leur développement, ont eu à souffrir des courants éoliens froids
qui balayaient l’Europe entre les Alpes et les glaces du Nord, on peut cejiendant
fort bien admettre (pi’ils y ont persisté en formations analogues à celles des tundras
du nord-est de la Russie où, au de là du 66 ° de latitude N., S c h r e n k ') a décrit
des oasis de forêts de Conifères jiai-faitement dévelopjiées, côtoyant une tundra arctique
typique (Arme rí a alpina, Emp e t r um n i g r um, Poleni o n i um humi le, Aic t o-
s t o p h y l o s al pina, Dr y a s o c to p e t a l a etc.). Alors, comme de nos jours dans les
régions tundriques, c’était sans doute le voisinage des cours d’eau (et ceux-ci ne
mamiuaient certes pas) qui favorisait le dévelopjiement non seulement des oseraies
(Sal ix has t a t a , a rbus cul a etc.) et des aulnaies (Bet u l a nana etc.), mais aussi
des bois de Conifères. Les idées (jue l’on se fait couramment des paysages tundriques
sont si exagérées, que nous ne pouvons, après N e h r i n g °), qu’insister encore sur les
observations faites par les naturalistes qui ont eu l’occasion d’ étudier ces formations
sur place. — Il est donc nécessaire de multiplier les recherches sur les lignites et
les tufs, surtout quand leur formation peut être attribuée aux phases glaciaires
proprement dites; le dépouillement de ces dépôts pourra seul donner des renseignements
précis sur la végétation en aval des glaciers et ouvrir aussi un aperçu sur le climat
qui l’accompagnait.
En résumé, le caractère principal de la dernière extension glaciaire (würmienne),
dans le territoire que nous étudions, a consisté dans un abaissement des limites
supérieures des forêts, un refoulement de la végétation des vallées en aval des glaciers
et une localisation des flores alpines dans le périmètre des régions glaciées, entre les
forêts et la ligne des neiges permanentes.
On a soulevé à plusieurs reprises la question de la persistance des plantes
alpines jiendant les phases glaciaires dans les Alpes au dessus de la limite des neiges
permanentes'). Cette persistance a dû être insignifiante sur les bords des champs
glaciaires et nulle à l’intérieur. Que l’on réfléchisse, en effet, au fait que dans le Jura
suisse la ligne des neiges permanentes était à environ 1000 mètres d’altitude, que le
Risoux (1379 m) envoyait encore un glacier local a l’altitude de 500 m dans la vallée
de l’Ain. Ce glacier suppose l’existence d’une couverture de névés permanents qui
devait occuper toute la région dont ce sommet est le centre, ne laissant plus de place
pour la végétation. S’il en était ainsi pour des basses montagnes, à combien plus
]) P e n c k u. B r ü c k n e r , Die Aflien im Eiszeitalter, ]i. 379.
2) S c h r e n k , Reise in den Nordosten des europäisdien Rußlands durch die Tundren der
Samojeden. Dorpat, ann. 1848—1854.
3) N e h r i n g , Über Tundren und Steppen der Jetzt- und Vorzeit, p. 10—19. Berlin 1890.
4) Voy. le résumé donné par M“ « B r o c k m a n n - J e r o s c h , op. cit. j). :î9— 43.
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