même ceux qui sont le plus haut placés dans la science,
aiment à ne produire que des oeuvres complètes, et hésitent
devant cet aveu de n’avoir pas une connaissance
entière du sujet qu’ils traitent. Mais le voyageur qui
visite des pays d’une grande étendue et d’une exploration
difficile, ne peut certainement pas tout voir • il importerait
donc qu’il déclarât quelles sont les parties qu’il ne
décrit que d’après des renseignements qui lui ont été
fournis. Or, nous savons tous quel degré de confiance on
doit accorder à des renseignements, même lorsqu’ils nous
sont donnés par des personnes de bonne foi et en position
de connaître la vérité. Je ne saurais exprimer combien
plusieurs fois pendant mon voyage, grand a été mon
étonnement à la vue d’un monument, d’une localité, que
je trouvais tout différents de ce que je me les étais figurés,
d’après les descriptions qui m’en avaient été faites, d’après
ce que j’avais pu en lire dans des ouvrages très-
sérieux. Ainsi, il m’avait été assuré que les fontaines
de Moïse ne méritaient pas d’être visitées, que je ne
trouverais que quelques mares infectes. J ai voulu les
voir, néanmoins, parce que ce n’est pas la beauté des
lieux qui doit attirer le voyageur danf ces contrées , mais
les souvenirs qu’ils rappellent. Je dois déclarer que j ai
été agréablement trompé dahs mon attente, car ces fontaines
sont situées dans une délicieuse oasis, et leur eau
n’est pas aussi mauvaise qu’on l’avait prétendu. Ce qui
a augmenté mon étonnement à la vue de cette station si
célèbre dans l’histoire du peuple de Dieu, c’est qu’il est
évident que les auteurs de la plupart des ouvrages qui en
donnent une description, ne l’ont jamais vue et ont
puisé aux plus mauvaises sources.
Le Sinaï n’a pas été pouf moi, un moindre sujet d’é-
tonnement. Je me le représentais tout autre que je ne l’ai
trouvé, et cela parce que j ’avais été induit en erreur par
des descriptions, des renseignements que j ’avais crus
exacts et sincères.
Une seconde cause de la diversité dans les descriptions,
dans les appréciations des lieux, des hommes, des institutions,
etc., 'c’est le point de vue où sont placés les
observateurs. Notre appréciation, en effet, dépend beaucoup
de nos idées préconçues, de certaines préventions.
Ainsi, nous sommes portés à voir sous de sombres couleurs,
tout ce que nous rencontrons chez ceux avec lesquels
nous sommes en rivalité d’opinions , de croyances.
On comprend que, dans de semblables conditions, les
froissements sont inévitables, et qu’une confiance entière
peut difficilement s’établir. Chacun s’aborde avec circonspection,
quelquefois même avec le désir de trouver matière
à la critique. Certaines particularités de mon voyage
m’ont convaincu que cette cause est puissante et fréquente.