Le soir, il y eût un grand dîner, chez M. Zizinia,
auquel furent invitées plusieurs personnes de distinction,
parmi lesquelles était M. de Lesseps dirécteur de la
Compagnie universelle pour le percement de l’isthme de
Suez. Il était venu au Caire se mettre à la disposition de
Son Altesse Royale qui désirait visiter les ijnmenses et
importants travaux de cette gigantesque entreprise.
Après le dîner, je fus invité à une partie chez un bon
et brave négociant qui , se croyant décoré de l’Ordre de
Léopold, voulait dignement célébrer l’obtention d’une
aussi honorable distinction. Tous ses parents, ses amis,
devaient se trouver chez lui ; il avait réuni les meilleurs
musiciens du Caire; en un mot, la fête devait être splendide.
Voici comment ce pauvre diable avait été induit en
erreur : quelques j'ours avant notre départ pour le voyage
du Nil, des jeunes étourdis lui avaient remis un bout de
ruban , en le félicitant sur sa nomination de chevalier de
l’Ordre de Léopold, et ceci avait été pris au sérieux.
Ayant appris le motif pour lequel cette partie devait avoir
lieu, je me gardai bien d’accepter l’invitation qui p i’était
adressée. Je prévins notre consul-général pour faire
cesser une aussi mauvaise plaisanterie. En même temps ,'
nous prîmes des mesures afin que ce fait ne parvînt pas à la
connaissance de Son Altesse Royale. Elle n’en sut effectivement
rien, car lorsque plus ta rd, je lui en parlai,
elle parut très-étonnée.
J ’eus, le lendemain, occasion de voir un employé de
l’administration des chemins de fer et télégraphes, homme
très-capable qui, d’une position tout à fait subalterne,
venait d’être nommé Bey. Voici comment la chose était
arrivée: comme on prévoyait la mort prochaine du Vice-
Roi, le directeur de la station avait ordonné à l’employé
chargé de la réception des dépêches télégraphiques, de
le faire prévenir aussitôt que la nouvelle arriverait. Il
est. d usagé en Orient, que celui qui le premier félicite un
Pripce héréditaire sur son avènement au pouvoir , est
immédiatement élevé à une haute dignité. Ce directèur
qui était déjà Bey, comptait bien certainement être promu
au grade de Pacha. Mais son subordonné avait aussi sa
petite ambition, et voulait profiter de' l’occasion peut-
être unique qui se présentait, de se tirer de son humble
position. Aussitôt qu’il reçut la nouvelle si impatiemment
attendue, il se rendit en toute hâte chez Is-
maïl-Pacha, se jeta à ses pieds et le salua Vice-Roi
^Egypte. Comme il s’y attendait, le nouveau souverain
lui tendit la main, en prononçant ces paroles : rélevez-
vous, Bey. On peut se figurer quelle fut la colère de
celui qui voyait ainsi toutes ses espérances déçues. Mais
que pouvait-il faire, son ancien subordonné était devenu
son égal, et un égal qui avait fait preuve de plus d’esprit,
de plus de prévoyance que lui. Au lieu de se reposer sur
un autre, il aurait dû veiller lui-même pour ne pas laisser
échapper l’occasion de s’élever en dignité, et de parvenir
à la fortune. Cette occasion ne se présente ordinairement