leur canne en l’air et la rattrapaient. Sans ralentir la
course de leurs chevaux, ils déchargeaient une carabine,
abandonnant les rênes, et se maintenant en selle, avec
une grâce et un aplomb inexprimables.
Les environs de Mansourah ne m’ont pas parus aussi
bien cultivés que les autres parties du Delta que nous
avions parcourues. D’assez grandes étendues de terrain
ne sont que des marais couverts d’oiseaux aquatiques,
particulièrement de flamants, et autour desquels croissent
les massettes à feuilles larges et étroites, divers roseaux
dont un atteint plus de quatre mètres de hauteur (arundo
maxima). Sur la grande plaine dont je viens de parler,
on trouve dés sycomores, des acacias, plusieurs arbustes
et plantes parmi lesquels je n’ai pu bien reconnaître que
1 ajonc d Europe, le genêt jonc, une armoise, trois ou
quatre laîches.
Après que nous fûmes rentrés au vapeur, des musiciens
ambulans tels qu’on en voit dans nos cafés, vinrent
sur la rive, exécuter quelques morceaux de leur répertoire.
Je dois dire qu’ils n’étaient pas sans un certain
talent, auçsi étions-nous étonnés de les trouver dans un
tel endroit. Au même moment, nous vîmes deux dames
longeant le fleuve et se dirigeant vers une chaloupe amarrée
près de notre vapeur. Comme il pleuvait un peu et
qu elles n avaient pas de parapluies, nous leur en envoyâmes.
Elles furent bientôt rejointes par leurs maris, du
moins nousl avons supposé, qui revenaient de la chasse, et
tenaient en mains quelques oiseaux aquatiques, un héron
et des sarcelles, d après ce que j ’ai pu distinguer.
M. Eïd avait organisé une soirée de danseuses dans
une propriété qu’il possédait à quelques minutes de la
ville. Nous nous y rendîmes, d’Oultremont et moi ;
MM. de Lesseps, Zizinia et Mourad-Bey restèrent au
vapeur pour tenir compagnie à Son Altesse Royale. Nous
admirâmes ce que M. Eïd avait pu faire en quelques
heures ; les salons étaient magnifiquement décorés, tout
le bâtiment était illuminé ; le service était assuré par
un nombreux personnel. Deux danseuses étaient dans un
salon, lors de notre arrivée, mais une voulut absolument
se retirer. Nous demandâmes la raison de cette singularité,
et nous apprîmes que parmi les musiciens, se trouvait
son amant, homme jaloux qui ne supportait pas
qu’elle se donnât en spectacle. Celle qui restait, possédait,
il est vrai, quelque talent, mais quelle dégoûtante créature
! Bien certainement, elle ne s’était pas lavée depuis
une semaine; elle avait les pieds nus ; elle but tellement
du rachi, qu elle ne tarda pas à tomber pour ainsi dire
ivre-morte. Pendant qu’elle était à cuver sa boisson,
M. Eïd nous fit passer dans un salon où était servie une
délicieuse collation consistant en fruits et pâtisseries.
Le 2?, un assez fort brouillard ne nous permit pas de
partir avant huit heures du matin. A neuf heures et
demie, nous arrivâmes devant Samanhoud où un train
spécial attendait pour nous transporter à Zaggazig, en
passant par Tantah et Benâ’l-Assal.