L’élévation des bords du Nil, en certains endroits, par
le dépôt de couches successives de limon, pourrait faire
supposer que le lit du fleuve s’est également abaissé;
mais il n’en est rien. Ce que nous avons remarqué,
prouve seulement que les plus fortes crues actuelles
n’atteignent pas la hauteur de celles qui ont déposé le
limon dans les temps anciens. Deux faits sont donc ici
établis, bien que non expliqués : usure des rochers qui
forment la cataracte; abaissement du niveau des eaux.
J ’ai eu l’avantage défaire, au Caire, la connaissance
d’un savant géologue et naturaliste, Figari-Bey, pharmacien
du Vice-Roi. Depuis plus de quarante années,
il s’occupe de la constitution géologique de l’Egypte;
dans ses divers voyages, il a fait les mêmes observations
, et comme moi, il n’a pu trouver une explication
satisfaisante. Il pense qu’il faut admettre que les rochers
qui forment la cataracte, avaient jadis une plus grande
élévation, et qu’ils ont été réduits à l’état où nous les
voyons, par. des causes que rien ne nous révèle. Cette
axplication est la seule à laquelle il faut s’arrêter, mais
elle laisse beaucoup à désirer en présence de ces couches
horizontales qu’on voit à une si grande hauteur.
Le 7, à sept heures du matin, nous sommes partis
d’Assouan pour aller nous installer sur le vapeur et la
barque qui devaient nous transporter à la seconde cataracte.
Nous y fûmes très-mal, très-resserrés, et tourmentés
par une grande quantité de rats. Le vapeur n’ayant
pas de cabines, il fallait, la nuit, s'étendre sur les divans
de la seule pièôe qui servait de salon et de chambre ^
à manger. Mourad-Bey, MM. le vicomte Zizinia et Sca-
navi s’y casèrent; M. le comte d’Oultremont et moi,
nous logeâmes dans la barque avec Son Altesse Royale.
Nous y avions chacun une cabine, mais tellement petite et
incommode, que, pour moi, si je l’avais pu, j ’aurais passé
la nuit sur le pont. Cependant, nous nous estimions
heureux de pouvoir, même dans ces conditions, continuer
notre voyage jusqu’à la seconde cataracte.
Comme nous devions nous engager au milieu d’une
population peu habituée à voir des Européens, et qui
n’aurait peut-être pas été disposée à nous fournir le
charbon et les vivres dont nous aurions eu besoin , nous
fûmes accompagnés par plusieurs employés du gouvernement,
entre autres , parleKâchef de la Basse-Nubie. Il
se nommait Ibrahim et résidait à Derr. Il avait été officier
de marine, et en cette qualité, il s’était trouvé sur
un bâtiment turc pendant la guerre de Crimée. On racontait
que ce bâtiment ayant sauté, Ibrahim avait été
lancé au loin et était retombé sans blessure grave, à
quelques pas de la côte. C’était un homme très-corpulent,
très-religieux, et s’adonnant presque toute la journée,
à des exercices de piété. Nous le voyions sur le pont,
la face tournée vers la Mecque, remplir sans gêne et sans
honte, tous les devoirs prescrits par le Coran. Il poussait
l’exactitude à un tel point, qu’afin de ne pas être exposé