parlait français que le maître de la maison , de sorte que
la conversation fut languissante et insignifiante. Selon cet
usage qui s’est conservé parmi les Coptes, les dames
restèrent voilées en ma présence. Je feignis d’en être
étonné, déclarant que je ne comprenais pas chez des
chrétiens, l’observation rigoureuse d’une ridicule prescription
du Coran. On convint que mes observations
étaient justes, mais on prétendit qu on ne pourrait s affranchir
de cette absurde coutume, sans s’exposer à un
blâme sévère. Comme je ne tenais pas absolument à voix
quelques figures bronzées et probablement peu attrayantes,
si je devais en juger par le soin apporté à en cacher
tous les traits, je n’insistai pas davantage.
Le 16, toute la journée se passa en visites, en courses,
pour l’achat de divers objets que nous voulions rapporter
en Europe.
Me promenant avec MM. Scanavi et Eïd dans la grande
rue du Mouski, nous fûmes témoins d’une scène révoltante
et qui prouve à quel degré d’avilissement le peuple
est encore réduit en Egypte. Un jeune Arabe conduisait
un âne chargé de deux paniers, et comme il y avait un
grand encombrement en cet endroit, un des paniers
effleura légèrement le bras d’un Européen. Celui-ci entra
dans une grande colère, et frappa de son bâton le pauvre
diable qui recevait avec impassibilité cette correction
qu’il n’avait certes pas méritée. Quelques passants vinrent
arracher ce malheureux des mains du forcené qui
s’animait d’autant plus qu’il rencontrait moins de résistance.
Une aussi1 coupable brutalité ne pouvait rester
impunie. Ce ne fut pas à la police qu’on s’adressa
afin d’obtenir justice; on sait qu’il n’en existe guère en
Orient pour des actes de cette'nature. Deux ou trois personnes
indignées de la conduite de ce méchant qui n’avait
pas eu honte de maltraiter de la sorte un enfant sans
défense, résolurent de lui infliger un sévère mais juste
châtiment. Cet homme avait l’habitude de s’attarder dans
un des cafés de la place de l’Esbékyèh, et pour retourner
à l’hôtel du Nil où il était logé, il devait passer dans une
petite ruelle presque toujours déserte, surtout le soir.
Ces personnes chargèrent trois âniers de l’exécution de
la sentence qu’elles venaient de porter. Ils devaient, le
soir, attendre le condamné dans la ruelle, le saisir, le
bâillonner, et lui cingler sur les reins cinquante coups
de kourbach. Il fut assez difficile de les déterminer; ils
désiraient vivement pouvoir venger l’outrage infligé à
un des leurs, mais ils n’étaient pas certains de l’impunité.
On parvint enfin à les rassurer et à leur persuader
même qu’ils feraient une bonne action en donnant une
leçon à celui qui s’était permis de frapper aussi brutalement
un brave ànier. L’acte de justice qu’ils allaient
poser, ne laissait d’ailleurs pas d’être lucratif; chacun
devait recevoir cinq francs avant l’exécution, et cinq
après. On leur remit deux kourbach en peau d’hippopotame,
et une pièce de toile pliée en cravate pour servir de.