23S PREMIÈRE PARTIE — CHAPITRE XVill
i.- .
A^ , ï
clarté, la parfaite adaptation au sujet, le complot oub
de soi-même, rabiiégation absolue Le style scientilique,
dit-il plus loin, ne doit faire aucun sacrifice au
désir do plaire. »
Il y a beaucoup de vrai dans ces appréciations du spirituel
autour. Je crains cependant qu'il n'ait voulu
ro]idre la tâche plus facile qu'elle ne l'est, pour nous qui
écrivons sur les sciences. Il a été trop indulgent. J'estime
que nous devons aspirer à quelque chose de plus
que la clarté et la simple adaptation des mots. J'oserai
mémo demander un oubli moins absolu do soi-même et
un certain agrément dans le style, à condition, comme
0 donne à entendre M. Renan, de ne rien sacrifier au
loint do vue do l'exactitude. Yoici mes motifs :
Nous avons besoin, dans les sciences, do savoir si un
observateur est scrupuleux, persévérant, méthodique,
3orspicace. Il faut savoir aussi de quelles conditions
matérielles il disposait et s'il a été bien préparé pour son
travail. Ainsi le caractère de l'homme et sa manière de
travailler me paraissent des choses bonnes à connaître.
Je ne suis pas fâché quo le caractère perce dans certaines
expressions. J'aime qu'un auteur avoue naïvement
qu'il a été arrêté par un obstacle physique ou
intellectuel, que ses yeux, par exemple, ou sa mémoire
l'ont trahi. Je no suis pas fâché nonplus, s'il est infatué
de son école ou de son pays, qu'il le montre ouvertement.
Gela met en garde contre les conséquences de ses
préjugés. Doux do nos contemporains botanistes ont
glissé dans leurs mémoires « qu'il faut prendre la philosophie
pour guide et la théologie pour boussole (1). »
Yoilàqui est clair et assurément personnel. Comment le
(1) Jordan, liemarques sui' les espèces affines^ p; "23 ; l'abbé Kevel, Notes
et olservatioiisrsur qtcelqices plantes rares, p. 2.
DU STVLli DANS LES OUVRAGES DE BOTANIQUE m
regretter? Autant vaudrait blâmer les incertitudes, les
hésitations, les rétractations de beaucoup do bons auteurs
qui suivent la méthode opposée de partir dos faits
et de marcher péniblement du connu à l'inconnu. Dans
les doux cas l'état moral et intellectuel de l'écrivain
n'est pas dissimulé, et il en résulte chez le lecteur plus
ou moins de défiance ou de confiance. Malgré le mot
souvent cité de Buffon (1), je ne vais pas jusqu'à désirer
que le style « soit l'homme », car un savant qui
parle trop do lui devient ridicule ou mémo insupportable,
mais je ne crains pas que le style montre un peu
l'individu. Je demande un milieu entre Buffon et Renan.
Les idées de ces doux célèbres académiciens contrastent
aussi sur la question do l'élégance dans les ouvrages
scientifiques. Bulfon subordonnait la science à
la littérature, tant il était jaloux do la forme, et pompeux
dans une description, même de quelque vulgaire
animal. Renan ne veut dans le style scientique « aucun
sacrifice au désir de plaire ». Ne sacrifions pas, — c'est
très bien, — mais pourquoi no pas demander un pou
d'agrément et même de grâce dans les rédactions d'une
nature sérieuse? L'aisance, la souplesse, la variété des
expressions, des passages naturels d'un paragraphe à un
autre ne sont pas incompatibles avec l'exactitude et la
clarté. Éviter les mots qui heurtent, varier les tours do
phrase, amener des transitions avec une certaine facilité,
sont choses possibles, et j'ajoute désirables dans
une certaine limite. L'élégance du stylo, quand elle ne
confine pas au défaut ridicule do l'affectation et qu'elle
ne diminue en rien la vérité des faits, a deux avantages
très réels : c'est une manière de faire lire et même pen-
(1) Le mot exact de Butïbii est : « Le style est rhoiiim^ môme. » (Discours
de réceiitiou à TAcadémie française.)
.ï-.¡i;^: •
I • I:
•'li
••IS-;-
VI
i
iï
: "
i
:: V.
^
i : |
i-'
î I
il S'
m
•I?
m
i!!l iiS
M.
VÎA'i:
i r 1»
m: