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^216 PREMIÈRE PARTIE — CIIAPITÌIE XV
Deux autres sens méritent plus d'attention, parce
qu'ils sont philosophiques.
Le plus ancien et le plus souvent employé consiste à
appeler nature un ensemble de choses et de phénomènes
dont les causes sont connues, ou au moins sont
présumées avec un certain degré de prohabilité. FAX
se plaçant à ce point do vue, les phénomènes rares,
dont les causes ne sont ni connues ni même présumées,
sont en dehors de la nature. Ce sont des phénomènes
extra-natiiTels, et si Ton démontre de plus
qu'ils tiennent à une cause supérieure, on pourra les
appeler surnaturels^ soit, selon le langage ordinair(>
miracles.
Dans un autre sons, qui s'est répandu par l'effet des
découvertes remarquables faites depuis un demi-siècle
ou un siècle , la nature est l'ensemble de toutes les
choses et de tous les phénomènes dont l'homme connaît
plus ou moins ou ne connaît pas du tout les circonstances
et les causes. Avec une semblable définition, tout
est dans la nature, même les phénomènes les plus rares,
les plus extraordinaires, les plus inexplicables dans l'état
des connaissances, pourvu que ces phénomènes soient
jien constatés, c'est-à-dire qu'ils aient eu lieu d'une manière
certaine. Cette définition rend inutile la distinction
du naturel, extra-naturel et surnaturel, puisque tout ce
qui existe, a existé ou existera est naturel. L'avantage de
ce sens, sous le rapport scientifique, est d'éviter le passage
inévitable des phénomènes de l'état hors de la
nature à celui dans la nature chaque fois qu'on découvre
la terre. » Outre la volonté supposée ici d'uu être appelé nature_, Fauteur
devait avoir une imagination bien grande pour faire plonger quelque chose
dans un milieu solide, l.e tout revenait à dire simplement : les racines ne sont
pas toujours en terre.
DIFFICULTÉS RELATIVES AUX MOTS ET EXPRESSIONS 217
eurs causes. Ainsi l'arc-en-ciel, la foudre, les éclipses,
es aurores boréales, certaines maladies, certaines monstruosités,
etc., ont été selon le sens ancien des phénomènes
extra ou surnaturels et sont devenus naturels ;
mais selon le sens dont je viens de parler, ils n'ont
jamais été que naturels.
Montaigne avait entrevu cette distinction lorsqu'il
disait : « Les miracles sont selon l'ignorance en quoy
nous sommes de la nature, non selon l'estre de la
nature (1). » Il approchait de donner au mot nature le
sens illimité, dont le mérite est d'éviter une foule de
discutions destinées à tomber à mesure qu'on connaît
mieux les phénomènes.
Pour moi, si j'étais obligé d'employer le mot nature,
je préférerais le sens le plus vaste, parce qu'il est clair
et n'entraîne aucun déclassement ultérieur des faits.
Heureusement il y a un moyen plus simple. C'est de ne
jamais se servir du mot, ni de ses dérivés, excepté quand
il s'agit d'opposer la nature à l'art, le naturel à l'artiliciel,
ou encore dans le sens de sorte ou espèce, quand
on dit, par exemple, la nature d'une chose. La suppression
du mot nature dans les trois sens, l'un poétique, les
autres philosophiques, est beaucoup plus facile qu'il ne
semble. Je le constate depuis sept ans. Il ne m'en a
pas coûté le moins du monde de décrire les formes ou
les phénomènes dont je voulais parler sans employer ce
terme, du moins dans ses significations équivoques (2).
(1) Essais, livre I, chap. 22.
(2) Un érudit de notre ville, M. Ph. Roget, a eu l'obligeance de m apprendre
que l'illustre physicien Boyle avait parlé autrefois des inconvénients
du mot nature à peu près comme je l'ai fait ici et en 1873. Il y a effectivement
dans le second volume de ses oeuvres {The Philosophical works of
lioièri Boyle, in-4, 1725, 2° vol., p. 106-109), une dissertation curieuse
dans laquelle Boyle signale une dizaine de sens différents du mot nature, tel
qu'on l'employait de son temps. On dirait que je l'ai copié dans ses plarsan-
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