quelques mesures, et officiers et passagers se
partagèrent différens postes au premier spectacle.
Dès que l’actrice, dont nous nous
étions déclarés les défenseurs, parut sur le
théâtre, nous l’acceuillîmes avec les applaudissemens
les mieux prononcés. Quelques
Génois se joignirent à nous ; mais des cris j
des battemens de mains et de cannés de la
presque totalité des spectateurs ^ assurèrent,
malgré nos murmures, la victoire de l’autre
danseuse, Nous ne nous déconcertâmes pàs.
Le lendemain , nous prîmes de nouvelles
forces, et nous n’oubliâmes aucun moyen
de Faire beaucoup de bruit. Nos adversaires
ne nous cédoient en rien ; mais , comme
nous étions disséminés sur tous les points
de la salle, noüs parvenions toujours à nous
attirer quelques partisans. Cette lutte excita
les sollicitudes du sénat c il porta un décret
qui défend oit de troubler le spectacle. Nous
ne. le troublions pas;5 mais, à l’instant des
ballets , c’étoif un tapage à tout rompre. Des
gardes fuFent distribués dans la salle : noüS’
ne nous en inquiétâmes gùères.' Enfin après
einq ou six représentations , pendant lesquelles
la'résistance diminUoit successivement
, nous eûmes la Satisfaction de voir
nos principes généralement adoptés. L ’actrice
qui, avant notre arrivée , avoit constamment
réuni les applaudissemens , cessa
d’en jouir , et ils furent tous pour notre
protégée. Contens de ce triomphe, qui étoït
celui du bon goût, nous donnâmes une fête,
à bord de la frégate, aux deux danseuses.
Celle dont nous avions dérangé les succès
accepta de fort bonne grâce, et nous nous
efforçâmes de lui faire oublier le petit revers
dont nous avions été la cause.
C ’est à c e ’même spectacle que je vis ,
pour la première fois, de ces êtres dégradés
qui n’ont de l’homme que l’apparence. Sacrifiés
a l’intérêt de l’art le plus aimable,
ils acquièrent, aux dépens de leur propre
existence, une voix sonore, mélodieuse,
mais qui n est point dans la nature, puis-
qu elle n est plus ni la voix d ’un homme,
ni celle d’une femme. La France ne s’est
point souillée d’un pareil crime. Étranger
aussi à la plupart des peuples de l’Europe,
il étoit réservé aux prêtres ultramontains :
eu x , entre les mains desquels l’excommunication
étoit une arme si légère, qu’ils Ja
lancoient à tout propos, ne redoutoient pas
de composer les choeur§ destinés à chanter