Le vent d’est augmentait d’impétuosité;
le temps deveuoit orageux, et nous mouillâmes
une seconde ancre. Nous demeurâmes
ainsi jusqu’au a mai que le vent soufflant du
nord-ouest, nous permit d’appareiller.
A la pointe du jour du 3 nous avions l’île
de Corse à six ou sept lieues de distance, et
à mesure que nous faisions route, nous pûmes
en examiner les côtes. Celles qui sont
entre le cap Calvi et le cap Corse, le plus
septentrional de l’île , sont des montagnes
élevées, paraissant arides et composées de
rochers, avec de grandes coupures. Les montagnes
du cap Calvi, à l’abri duquel est un
port large et sûr, sont les plus hautes de cette
partie de la côte ; leurs sommets étaient encore
couverts de neiges. Nous découvrions
aussi dans le golfe formé entre les caps Corse
et C alvi, l’île Rousse , isola Rossa, île petite
et basse , qui défend des vents d’ouest un
havre profond et important.
Nous vîmes plusieurs marsouins ou souffleurs
(i) , nageant à fleur d’eau, présage
presque certain d’un gros temps. En effet,
il ne nous fut plus possible d’approcher de la
Corse, ni de continuer notre route, le vent
(1) Delphinus phocoena. L.
étant redevenu contraire et en tourmente; nous
nous déterminâmes à relâcher à Gênes, où
nous arrivâmes le 4» à dix heures du matin.
L ’on ne s’attend pas , sans doute , que je
donne la description de la ville de Gênes :
elle est assez connue , sur - tout depuis ces
derniers temps , pour que je me dispense
d’en parler. Je raconterai seulement uii petit
événement, dont nous y fûmes les principaux
acteurs. Quoique très-léger, en apparence,
il fournit un trait du caractère des peuples ,
et par cela même, il mérite d’entrer dans
la narration d’un voyageur.
A l’opéra, de G.ênes , deux danseuses te-
noient le premier rang dans les ballets; toutes
deux avoient en partage la beauté et la jeunesse;
toutes deux avoient une égale légéreté.
Mais les Grâces dessinoient les mouvemens
et les attitudes de l’une, tandis que les; pas
et les sauts de l’autre, plus surprenans par
leur agilité * n’étaient, dans lé vrai , que
des tours de force. Les applaudissemens
étaient exclusivement réservés à celle-ci, et
la première n’attiroit que rindifférençe. II
appartenoit à des françois de donner des leçons
de goût, il leur appartenoit de venger
les Grâces méprisées. Nous convînmes de