( â )
voyageur n’a apporté tant de lenteur à se
produire au grand jour. Presque tous, au
contraire, se sont empressés, à leur retour,
de faire connoître leurs travaux et leurs
découvertes. Ce zèle, très-louable sans doute,
est aussi bien naturel. En effet, lorsqu’on
a eu le courage de s’abandonner , ponr
ainsi dire , soi - même dans des contrées
éloignées, désertes, ou, ce qui est pis encore ,
habitées par des nations chez lesquelles une
civilisation commençante ou à demi-formée,
est infiniment plus dangereuse que l’état
même de l’homme sauvage ; lorsqu’on a
été doué d’une vigueur capa'ble de franchir
les obstacles, de la persévérance nécessaire
pour vaincre les difficultés qui naissent à
chaque pas , et de la fermeté qui soutient
au milieu des peines physiques et morales,
inséparables de ces sortes d’entreprises;
lorsqu’enfïn les talens , l’expérience ou le
bonheur ont fait surmonter de nombreux
inconvéniens , et échapper à des dangers
non moins nombreux; c’est, il faut en convenir,
une satisfaction, une véritable jouissance
de retracer les^yénemens divers qui
ont fait impression dans le cours du Voyage,
les contradictions, les fatigues, les périls
( 3 )
dont l’existence du voyageur a été four-atout’
tourmentée ou menacée; car, s’il est
doux de se ressouvenir de ses maux passés,
il l’est encore plus de les raconter.
Si , à ces motifs purement personnels,
mais q u i, néanmoins, manquent rarement
d’exciter l’intérêt général, l’homme qui s’est
dévoué aux hasards des voyages de long
cours , joint des vues plus relevées , des
considérations plus puissantes ; s i, transporté
par l’amour de la gloire, ou, ce qui est
synonyme, par l’amour du bien public, il
a été assez heureux pour agrandir le cercle
des connoissances , et pour conquérir de
nouveaux domaines à la science , rendre
compte de ses travaux est un devoir sacré
à remplir, et tout retard, toute négligence
deviennent également repréhensibles. Ma
plume vient, en apparence, de tracer ma
propre condamnation ; car, dans le nombre
prodigieux d’hommes et de choses que j’ai
vus pendant le cours de douze années de
voyages et d’observations, il est impossible
que mon recueil ne renferme beaucoup
d’objets intéressans, et quelques-uns d’entièrement
neufs. Les encouragemens ne me
manquoient pas. Des amis, que les sciences
A 3