leur fournît un aliment meilleur encore et
plus abondant. Mais ce qui paroîtra fort
extraordinaire, c’est que, dans ce pays fécond
en singularités, ce sont les Egyptiens
eux-mêmes qui mangent le fenu-grec , en
sorte qu’on auroit raison de l’y appeler le
Jburrage des hommes.
C’est au mois de novembre que , dans
les rues des villes, l’on crie le helbè vert
à vendre. Il est lié en gros paquets, que
les habitans s’empressent d’acheter à bas prix,
et qu’ils mangent avec une avidité incroyable,
sans aucune espèce d’assaisonnement. Ils
prétendent que ce mets singulier est un
excellent stomachique, un spécifique contre
les vers et la dyssenterie ; enfin, un préservatif
contre un grand nombre de maladies.
J’ai aussi mangé quelques bottes de ce
fourrage. Je ne l’ai point trouvé mauvais;
mais j’etois fort éloigné d’éprouver, à ces
sortes de repas, le même plaisir que les
gens du pays. Quant à ses effets, je n’en
ai ressenti ni bien ni mal.
Les Egyptiens ne se contentent pas de
devorer les tiges et les feuilles du fenu-grec;
ils en font encore germer les graines , et
en mangent les longues pousses. C’est pour
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eux une préparation recherchée, qui possède
éminemment les bonnes qualités qu’ils attribuent
à la plante. Pour obtenir une prompte
germination des graines, ils en remplissent
un panier qu’ils laissent tremper dans l’eau
courante , pendant deux ou trois jours : ils les
entassent ensuite sur un lit de paille ou d’herbe,
afin qu’ elles s’échauffent; ils recouvrent
une portion de ces graines ainsi macérées,
avec des petits vases de terre, en forme de
cônes tronqués et ouverts par le dessus. C’est
par cette buverture que les germes, qui
sont bientôt grands , sortent en se réunissant
, et on les y arrête en les recourbant.
Enfin, on lève le vase rempli de jeunes
pousses, et on les mange avec les graines
qui les ont produites. L ’on a douze petits
pots ainsi garnis pour un medin, c’est-à-
dire , pour environ un sol de notre monnoie.
Il faut avoir une haute confiance dans les
vertus de ces.germes, pour en manger une
aussi grande quantité que les Egyptiens ;
car ils sont d’une amertume très-forte. L ’on
fait aussi griller les graines , et on les prépare
comme le café, en y ajoutant du jus
de limon. Cette boisson est assez agréable.
Je n’en dirai pas autant d’un ragoût très