
assurés d’en rencontrer trois ou quatre avec quelques vieux.
C ’étoit la saison de la mue pour ces derniers; nous les surprenions
quelquefois hâtant avec le bec la chute de la couche extérieure
des plumes qui ne tomboient que lorsqu’elles étoient remplacées
par d’autres. Des ricins dont ils ne peuvent pas toujours
se débarrasser, les incommodent beaucoup.
Lorsqu’ils fuyoient à travers les labyrinthes de leurs sentiers, on
auroit cru entendre trotter de petits chevaux. Nous les poursuivions
avec tant d’ardeur, qu’ils nous échappoient rarement; et quand ils
se réfugioient dans leurs trous, un des nôtres, armé d’un fer pointu
terminé en tire-bouchon, les amenoit facilement en-dehors. Ceux
de ces oiseaux qui dans ces instans revenoient de la mer, tomboient
aussi en notre pouvoir ; dès que nous apercevions au-dessus de
l’eau leur tête en camail, pour nous servir de l’expression caractéristique
du bénédictin Pernetty, nous nous cachions jusqu’à ce
qu’ils fussent engagés, en s’aidant péniblement de leurs pieds arrondis
et de leurs très-petites ailes, au milieu des pierres qui recouvrent
la plage, et alors il nous étoit facile de les tuer. Dans l’espace
de six heures, nous en prenions de soixante à cent vingt : ce dernier
nombre fournissoit pour deux jours de vivres à l’équipage.
Chaque manchot pesoit de dix à douze livres : mais comme il avoit
une masse considérable d’intestins, qu’on étoit forcé de lui enlever
la peau pour le faire cuire, et qu’il perdoit alors toute sa graisse,
on n’en retiroit que trois ou quatre livres de viande tout au plus.
C ’est un très-mauvais aliment; et certes une dure nécessité pouvoit
seule nous forcer à faire une guerre impitoyable à ces malheureux
animaux. Quelques cochons que nous conservions et qui
se nourrirent de leurs peaux huileuses, contractèrent un goût de
sardine vraiment détestable.
Cette espèce de manchots, la même que celle du Cap, nous a
offert un canal intestinal de vingt-quatre pieds de long, à prendre seulement
de Ja fin de l’estomac, qui s’étend, comme on sait, chez cet
animal, jusqu’à la partie inférieure de l’abdomen ; ce qui donne un
tube digestif d’environ vingt-cinq pieds, dont le rapport avec l’oiseau,
qui avoit dix-neuf pouces, est à-peu-près comme quinze est à un.
On rencontre aussi aux Malouines, mais rarement, le manchot
huppé et le grand manchot [ aptenodytes patagónica ] ; un de cette
dernière espèce pesoit vingt-neuf livres. Ils s’avancent très au large ;
nous en vîmes deux ou trois entre i’île Campbell et le cap Horn.
Il est vrai qu’ils ont la faculté de se reposer sur les îlots de glaces
flottantes qu’on trouve dans ces parages.
Les troupes d’oies qui paissent dans ces plaines herbeuses, et
dont Bougainville a parlé très au long, nous furent d’un grand
secours. Elles ne demeurent dans les îles de la baie Française que
le temps nécessaire pour élever leurs petits, après quoi elles émigrent
vers d’autres parages. A la fin d’avril, époque où nous quittâmes
les Malouines, on n’en voyoit presque plus dans les prairies. Elles
diffèrent de l’oie commune, non-seulement par ie plumage et les
tubercules qu’elles portent au pli de l’aile, mais encore par leur cri,
qui n’est point retentissant; il a quelques rapports avec de petits
éclats de rire. Nous remarquâmes qu’elles n’alloient à l’eau que lorsqu’on
les y forçoit.
De petites sarcelles se tiennent dans les étangs d’eau douce, et
les canards dans toutes les anfractuosités de la rade. Nous ne reconnûmes
que deux espèces de ces derniers : l’une, de moyenne grandeur,
de couleur enfumée, voloit très-bien; l’autre, au contraire,
très-grosse, a reçu, à cause de la petitesse de ses ailes, qui ne lui
permet pas de s’élever dans l’air, le nom de catiard aux ailes courtes.
Nous le représentons planche y y . Leur extréme défiance les sous-
trayoit souvent à nos coups ; mais la nécessité nous apprit bientôt
quen les poussant à terre avec un canot, ils ne pouvoient nous
échapper.
Il nous falloit bien imaginer diverses ruses afin de faire des vivres,
comme disent les marins, pour cent vingt personnes privées de