
CHAPITRE VI.
Remarques sur les Oiseaux pélagiens et sur quelques
autres Palmipèdes.
J_j O C É A N a ses oiseaux comme la terre. Forcés d’en parcourir sans
cesse les solitudes pour y trouver leur subsistance, ils furent doués
d’une puissance de vol extraordinaire, afin de pouvoir, en quelques
heures, franchir des espaces immenses et se porter où l’instinct les
appelle.
Parmi ces nombreuses tribus, il existe des distinctions de moeurs
aussi tranchées que les caractères physiques qui servent à ies classer :
c’est ce qui nous détermine à ne donner ie nom d’oiseaux pélagiens
proprement dits qu’aux pétrels et aux albatros. On trouve les premiers
dans toutes les mers, sous tous les méridiens et presque par
toutes les latitudes. Excepté le peu de temps qu’ils donnent à la
reproduction, tout le reste de leur vie est employé à parcourir
l'océan, et à rechercher péniblement, au milieu des orages, une nourriture
rare, presque aussitôt digérée que prise ; ce qui semble mettre
ces animaux sous la dépendance d’une seule fonction, celle de la
nutrition. Ainsi nous avons vu précédemment toute une famille
d’oiseaux à langue plumeuse que cette organisation particulière
contraignoit à être sans cesse en action pour se nourrir. C ’est vraiment
de ces animaux qu’on pourroit dire avec justesse qu’au lieu
de manger pour vivre, iis semblent ne vivre que pour manger.
Les frégates, les paille-en-queues, les fous, ies noddis, quoique
s’avançant quelquefois fort loin sur l’océ an, ne méritent point le
nom de pélagiens. Ce sont pour eux de simples excursions; et, préférantaux
ondulations des flots leurs rochers solitaires, ils y reviennent
ordinairement chaque soir.
Avant de parler successivement de ces diverses espèces, nous
dirons que la diificulté de se ies procurer a fortement embrouillé
leur synonymie. Des navigateurs de toutes les nations leur ont
donné des noms différens et en ont fait des descriptions en les
voyant seulement passer; de sorte que, excepté les espèces qu’on
possède et dont on connoît avec précision les demeures habituelles,
on doit se tenir en garde contre ies méprises des nomen-
clateurs. Il seroit cependant utile de bien s’entendre sur les noms
assignés à quelques-uns de ces oiseaux : tout n’étant pas encore
découvert en géographie, la navigation, dans de certaines circonstances,
pourroit en retirer des avantages.
C ’est ce que l’expérience démontre chaque jo u r , principalement
dans le grand Océan, ainsi que nous le dirons bientôt.
Nous étant particulièrement attachés à l’étude des oiseaux grands
voiliers, et, dans nos navigations, leur ayant entendu donner des
noms divers par les marins, comme ceux de coupeurs d’eau, de
sardiniers, de manches de velours, de cordonniers, fous, & c ., nous
avions essayé d’abord de faire concorder cette synonymie avec celle
des naturalistes ; mais bientôt nous abandonnâmes cette id é e , en
voyant que les navigateurs ne s’entendoient pas bien entre eux sur
les noms imposés aux mêmes individus, et que beaucoup de ces
animaux nous manquoient pour les reconnoître. Ainsi nous nous
bornerons à parler des habitudes de quelques-uns, et nous commencerons
par les albatros.
Ces oiseaux sont bien connus. Les personnes qui sont allées jusqu’à
l’extrémité Sud de l’Afrique , savent que ce sont les moutons du
cap des navigateurs français. C ’est le plus grand des palmipèdes :
très-rare dans le n o rd , il appartient plus spécialement à l’hémisphère
antarctique ; encore n’est-ce pas dans nos mers qu’on
i aperçoit. Il faut dépasser 1,’équateur et visiter celles qui s’étendent