
soir il étoit encore vivant. L a marée basse lui avoit laissé une portion
du dos et les évens à découvert. De temps en temps ii rejetoit de
l’eau par ces ouvertures en respirant avec bruit. Un canot fut expédié
pour tâcher d’amener ce cétacé plus près de notre camp, afin d’en
tirer ie meilleur parti possible. Ce fut en vain qu’on s’efforça de remuer
cette lourde masse, qui, d’ailleurs, encore animée, portoit presque
sur tous les points. On se contenta d’envoyer sur son dos un homme,
qui, arme d une hache, y fit un trou dans lequel il fixa un grappin d’embarcation,
auquel tenoit une chaîne, puis une corde attachée à terre
pour que la marée montante n’entraînât pas l’animal. Mais lorsqu’il
se sentit soulever par le flux, à l’aide d’une légère secousse il cassa la
corde, et par un mouvement plus fort il se retira de dessus les rochers
et gagna le large. Ce fut vainement qu’il chercha à s’enfuir; blessé à
mort, nous le trouvâmes le lendemain sans vie vers le même endroit.
A 1 instant où il échoua, quoique ce fût un mâle, plusieurs
petits haleinoptères qui étoient dans la rade rodèrent long-temps
autour de lui. L a nageoire dorsale de ces Jeunes, du double plus
grands qu’un dauphin ordinaire, nous parut beaucoup plus considérable
et pas autant reculée vers la queue que celle de l’individu
adulte que nous avions sous les yeux. Nous acquîmes la preuve
que ces animaux ne sont point à craindre, par ce qui arriva à un
matelot qui, étant allé à la nage examiner de très-près la baleine
échouée, en fut tout-à-coup entouré. Saisi d’une frayeur extrême
qu’il manifestoit par de grands cris, il se hâta de gagner la terre de
toutes ses forces. Plusieurs personnes qui étoient sur le rivage crai-
gnoient pour sa vie. Nous nous efforçâmes de ie rassurer en lui
criant quii n’y avoit rien à redouter, persuadés en effet que cette
espèce de cétacé n’a jamais volontairement fait de mal à l’homme.
Ce baleinoptère museau pointu étoit placé sur le dos et incliné du
côté droit. L e lendemain de sa mort, les mâchoires étoient encore
fermées; ie jour d’après, elles étoient entrouvertes par l’effort de la
vésicule aérienne propre à cet animal, qui faisoit une saillie considérable;
lorsque la putréfaction commença, les gaz qui s’accumulèrent
distendirent davantage cette vésicule et agrandirent de plus
en plus l’ouverture de la gueule ; ce qui donna la facilité de couper
les fanons à coups de hache.
Les vautours et tous les oiseaux de mer eurent bientôt enlevé
son épiderme excessivement mince et déchiqueté sa peau. L ’huile
qui découloit de toutes ces blessures, répandue sur le rivage à deux
cents pas à la ronde, rendoit les rochers très-glissans. L e capitaine
Orne, qui survint dans ces entrefaites, en retira encore quelques
barriques.
En général, ces cétacés ne sont pas très-estimés, à cause du peu
d’épaisseur de leur lard et de l’extrême vivacité de leurs mouvemens,
qui fait qu’on ne peut pas facilement s’en rendre maître. Voici
les seuls détails anatomiques que notre fâcheuse position nous ait
permis de recueillir sur le nôtre.
Sa longueur, prise de l’extrémité de la mâchoire inférieure au
bout de la queue, étoit de cinquante-trois pieds quatre pouces. Les
mâchoires avoient, de l’extrémité à la commissure, neuf pieds six
pouces; la supérieure, un peu plus avancée que celle d’en bas, portoit
seule des fanons sur chaque côté de ses bords. Dans leur arrangement
, ils forment comme un V tronqué par la pointe : l’animal
étant renversé, ils représentoient assez bien le ber ou berceau sur
lequel est posé un vaisseau qu’on va lancer. L a largeur et ia longueur
de ces fanons, vus en-dehors de ia gueule, aboient en décroissant
à mesure qu’ils se rapprochoient du gosier; leurs franges étoient
en-dedans ; les plus longs avoient deux pieds six pouces et neuf
pouces de largeur à la base.
Le dessous du corps, près de la queue, étoit caréné; le baienas,
sorti dans toute sa longueur, très-pointu à son extrémité où étoit
placé le méat urinaire, avoit cinq pieds neuf pouces de long, et
un pied de diamètre à sa base. En le coupant, il en sortit du sang
et heaucoup d’air.
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