
coraux, dans lesquelles se sont réfugiées toutes les petites espèces
propres à ce climat, et les recevoir dans des paniers de feuilles de
cocotier. La réunion de ces poissons forme le contraste de couleur
le plus charmant qu’on puisse voir : il semble que l’imagination vagabonde
d’un peintre ait tenté d’exécuter toutes les combinaisons de
nuances que son art peut produire; et comme la plupart de ces
riches parures ont été refusées aux poissons de la zone que nous
habitons, on a long-temps douté, et l’on doute même encore, de
l’exactitude des peintures de ceux d’Amboine que Renard nous a
transmises. Nous pouvons assurer que s’il y existe des erreurs, c’est
plutôt dans les formes que dans ces merveilleux reflets de couleurs
qu’on diroit calculés à plaisir, et qui, pour le plus grand nombre
des espèces, sont cependant reproduits d’après nature*.
Il en est des poissons comme des oiseaux, des insectes, des
végétaux; à mesure qu’on s’éloigne, dans les deux hémisphères, des
parallèles où régnent une chaleur et une lumière constantes, on
leur voit perdre successivement leurs belles couleurs pour en
revêtir de plus sombres, analogues aux fonds et aux rochers qu’ils
fréquentent. Ce n’est pas qu’entre les tropiques on ne rencontre
quelquefois des espèces peu brillantes, comme des baudroies, des
percis, des saurus et quelques pleuronectes, qui, fuyant la lumière,
vivent habituellement à l’abri des fucus, dans les sables, ou sous
la vase, et semblent en emprunter les couleurs ternes; de même
que, sur certains points de notre climat tempéré, comme la Méditerranée
et le golfe de Gascogne, on trouve des labres avec leur
riche livrée ; mais ce ne sont que des exceptions à la règle générale.
Déjà la baie des Chiens-Marins, quoique placée par environ 26"
de latitude Sud, n’a plus de beaux poissons, mais de nombreux
squales, d’où elle a tiré son nom, des tétrodons, des balistes peu
* <t C ’est une grande merveille que la diversité prodigieuse de ces poissons, tous d’une beauté
» inimitable, et dont les couleurs sont aussi vives que les plumes des perroquets et que les ailes
» des plus charmans papillons. » ( R en a rd , tome 2 , note de la planche z. ) E t il ajoute : « Ces
I) belles couleurs se fanent comme ies fleurs, quand les poissons sont hors de l’eau. »
brillans. Le Cap de Bonne-Espérance, situé par un parallèle encore
plus élevé, nourrit des gades, d’énormes sciènes, et des essaims de
chimères antarctiques, animal informe qui ne meut sa lourde
masse qu’au fond des eaux. On le prend à l’hameçon ; cependant,
l’un de nous se souvient que, lors d’un voyage antérieur dans cette
contrée, il en vit pêcher, avec la seine, une quantité si grande
que tout un canot en fut rempli.
Les sillagos, les muges, les picarels et les sidjans, que l’on voit
au Port-Jackson, ont tous des couleurs sombres. Il en est de même
pour les poissons des Malouines. Il est vrai qu’à l’exception de quelques
muges qui se cachent dans les trous des ruisseaux d’eau douce,
ces plages n’offrent point de grandes espèces ; elles ne sauraient s’y
développer, parce que des milliers d’oiseaux aquatiques les dévorent
en naissant. Chaque fois que nous jetions des filets, nous
ne prenions pas dix livres de très-petites dupées, qui formoient
l’espèce dominante. En évaluant à cinquante mille livres la consommation
journalière de fretin que font ces oiseaux, nous croyons
être au-dessous de la vérité; car f estomac d’un manchot ou d’un
cormoran bien repu en contient plus de deux livres.
Pendant tout le temps que nous demeurâmes sur les eaux
bourbeuses et peu profondes de Rio de la Plata, l’équipage se nourrit
des silures qu’on prenoit en abondance à ia ligne. Ce poisson,
qui dans les fleuves du nord acquiert un si grand développement,
atteint à peine ici la longueur de deux pieds.
Bien que Rio de Janeiro soit sous le tropique, il offre peut-être
une exception à la règle qui fait coïncider l’éclat des poissons
avec la position des parallèles. La couleur de ceux que nous avons
aperçus dans les marchés, est en général terne; ce sont des raies,
la rhynobate sur-tout, quelques espèces de la famille des salmones,
comme des curimates, des hydrocyns, des saurus, des scombres,
&c. Nous n’y avons vu qu’une ou deux fois des labroïdes en petite
quantité ; mais les gais et les trichiures y abondent.