
mâchoires, qui, ne se correspondant pas, sont dans l’impossibilité
de se fournir mutuellement un point d’appui, on verra qu’elles
n’agissent pas perpendiculairement sur le corps à diviser, qu’elles
ne peuvent le trancher net, s’il est très-résistant, comme un os, par
exemple. D’après cela, nous regardons au moins comme exagéré
ce qu’on rapporte d’hommes coupés en deux, ou qui ont eu les
jambes emportées ; de semblables faits mériteroient une confirmation
authentique. Toutes ces rangées de dents crénelées, dirigées
vers la partie postérieure, paroissent plus spécialement destinées
à déchirer et à vaincre les efforts d’une victime encore
vivante dans le gouffre qui l’engloutit. Les squales ne peuvent briser
et démembrer un homme que lorsqu’ils sont plusieurs tirant en
sens contraire. C’est ainsi qu’à Caïenne on est encore effrayé de
la mort vraiment horrible de notre malheureux confrère Robinet,
qui, se baignant imprudemment trop au large, fut entraîné et
dévoré par ces monstres. Le lendemain, on trouva ses membres
épars sur ie rivage.
Nous leur supposons l’odorat très-développé. Cependant, la
finesse de ce sens ne les porte pas à suivre les navires où il y a
des malades, comme le disent les matelots. Us n’apparoissent jamais
que dans les calmes; et, pour peu que les voiles s’enflent, il ne
leur est plus permis de suivre le vaisseau.
Il seroit fastidieux de relever toutes les puérilités qu’on a débitées
sur les squales. Bien des marins ont encore l’imagination remplie de
ce merveilleux que les premiers navigateurs répandoient sur tous les
objets qui avoient frappé leurs regards dans des contrées lointaines.
Laissons ces tyrans de la mer, dont les formes hideuses décèlent
la férocité, pour ne nous occuper que de ces belles espèces qui,
vivant dans des ondes pour ainsi dire enflammées, approprient
à leur substance l’éclat de la lumière, décomposent ses rayons
et les reflètent de toutes les parties de leur corps en mille nuances
aussi variées que brillantes.
■ Ce seroit à tort qu’on croirait que les poissons fourmillent au
milieu de fOcéan. Il a, comme la terre, ses solitudes et ses déserts
dans lesquels errent certaines espèces. Les coryphènes, la nombreuse
famille des scombres, qui vivent de chasse, n’ont point de
limites fixes, et le traversent en troupes dans tous les sens. Ceux-là
exceptés, et quelques autres encore, ii arrive quelquefois au navigateur
de parcourir des espaces de mer immenses sans rencontrer
un seul de ces animaux. Ce n’est réellement que sur les grands bancs
sous-marins et aux approches des côtes qu’on les voit en grand nombre
: ils y trouvent des abris et des lieux commodes pour y déposer
leurs oeufs.
Les régions équatoriales sont admirables par l’étonnante quantité
de ces êtres animés qui pullulent de toutes pans. Sur ces fonds
de peu de profondeur où l’oeil pénètre sans obstacle, on ne sait ce
qu’on doit le plus admirer, ou f éclat des madrépores, des éponges,
des alcyons et de tous ces animaux-plantes, ou bien les riches
couleurs des poissons qui circulent dans ces parterres émaillés de
l’Océan. C’est là qu’habitent les chétodons comprimés, les glyphi-
sodons, les pomacentres, les acanthures, &c. Les localités se présentent
elles sous un aspect différent ; aux lieux calmes succède-t-il
des côtes rocheuses battues par une mer profonde et limpide : alors
s’offfe l’éclatante tribu des balistes au nager vacillant et incertain,
des labroïdes à lèvres charnues et rétractiles, des gomphoses, des
diacopes, des scares, des caranx. Mais par-tout l’or et l’argent mêlent
leur teinte aux couleurs du prisme; par-tout dans 1a zone torride les
mêmes dispositions ramènent les mêmes phénomènes. Ils se reproduisent
à l’île de France, à Timor, dans les Moluques, aux Mariannes,
dans les archipels de l’Inde et du grand Océan. Aux îles Mariannes
sur-tout, où nous avons fait un long séjour, nous avons eu tout
le loisir de contempler cette fécondité organique. A Guam, devant
Agagna, existent des récifs de madrépores qui découvrent à mer
basse : alors, on voit de pauvres femmes enlever les branches de
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