
la main. Leurs demeures sont des trous en forme de four, de
deux à trois pieds de profondeur, dont l’entrée est assez large et
trèsTasse. Il faut toute la force du bec de cet oiseau pour pouvoir
les creuser dans des racines aussi tenaces. Quelques - uns sont tapissés
d’herbes sèches. C’est là qu’ils déposent leurs oeufs, d’un jaune
sale, et gros comme ceux de dinde. Ils ne doivent être qu’au
nombre de deux ou trois, autant que nous avons pu en juger par
les jeunes qu’on rencontroit autour du mâle ou de la femelle.
De grand matin et le soir, tous les manchots sortent des trous
et vont à la mer pêcher. Ceux qui ont l’estomac plein demeurent
encore pendant quelque temps en troupes sur le rivage, où
ils ont l’air de faire assaut à qui criera ou braira ie plus fort: puis
tous rentrent et demeurent pendant le jour au milieu des herbes
ou dans leurs trous. Cependant on en voit quelques-uns qui,
moins heureux que les autres dans leur pêche , regagnent l’île plus
tard. Ces oiseaux prennent tant de nourriture à-la-fois, qu’ils sont
souvent obligés d’en dégorger ; on trouve alors, dans les sentiers
où ils ont passé, des fi-agmens de sèches et de poissons.
Lorsque les petits ont acquis un accroissement convenable, un
beau jour, à une heure fixe peut-être, la troupe entière abandonne
l’île et gagne la haute mer. Où vont-ils!.... Nous n’en savons rien.
Le capitaine Orne, qui habite souvent ces parages pendant toute
l’année, pense qu’ils passent l’hiver à la mer. L’émigration s’est faite,
en I 820, du 20 au 25 avril. Nous ne fûmes pas peu surpris, en allant
pour les examiner une dernière fois, de ne trouver qu’un malheureux
infirme, là où la veille nous eussions pu Jes compter par milliers.
A cette époque, il n’y eut que notre curiosité de trompée : mais si
pareille chose avoit eu lieu un mois auparavant, nous eussions
été probablement obligés de nous passer de manger ce jour-là; car,
lorsque nous n’avions pas d’autres provisions, nous allions de suite
sur cette île, que nous considérions comme notre magasin de
réserve. Voici comment nous découvrîmes cette ressource.
Deux ou trois jours après notre naufrage, chargés avec M. Bérard
défaire une excursion dans le but de trouver des vivres quelconques,
nous nous dirigeâmes sur ce point, espérant y rencontrer des
phoques : nous fûmes trompés dans notre attente. En approcliant
de l’île, nous entendions un bruit épouvantable. Comme il étoit
à peine jou r, nous ne pouvions distinguer ce qui Je produisoit.
Enfin, lorsqu’il fit plus c la ir , nous aperçûmes sur le rivage des
centaines de manchots qui crioient tous à-la-fois. On jugera quel
vacarme ce pouvoit être, quand on saura que le cri d’un de ces
oiseaux est semblable à celui d’un âne, et presque aussi fort. Nous
desirions bien nous en procurer, mais comment faire! Instruits
par ce que nous avions déjà vu au Cap de Bonne-Espérance, qu’ils
étoient fort durs à tuer, et qu’un coup de fusil bien ajusté n’en
procuroit jamais qu’un ou deux, attendu que les blessés gagnent
promptement la mer ; voulant d’ailleurs utiliser davantage nos munitions,
nous avions résolu d’abandonner cette chasse pour celle
des oies. Mais en traversant les grandes herbes, nous rencontrâmes
quelques manchots qui fuyoient devant nous dans leurs petites
routes, et que nous tuâmes facilement. Dès-lors nous fûmes instruits
de la manière dont il falloit s’y prendre pour en avoir :
chaque fois que nous avions besoin de vivres, on se rendoit à
l’île avec huit ou dix hommes, dont quatre étoient armés de
bâtons courts; on s’avançoit en silence; et dès qu’on apercevoit ces
oiseaux à travers les feuilles des graminées, on les assommoit. Un
seul coup sur la tête suffisoit pour les abattre et les étourdir, mais
non pas pour les tuer; car, si on les abandonnoit, ils revenoient
a eux et s’écbappoient; il falloit leur ouvrir la tête, pour être bien
sur qu’ils fussent morts. Lorsque ces malheureux animaux se
voyoient surpris , ils poussoient des cris vraiment lamentables ,
et se défendoient en lançant des coups de bec qui pinçoient jusqu
au sang. Les jeunes déceloient ordinairement leur gîte par un
ei’i particulier que nous savions reconnoître ; nous étions alors