
regrets qui accompagnèrent sa mort, survenue par empoisonnement,
prouventbien que, dans les longues navigations, on s’attache
aux moindres objets qui peuvent en diminuer la monotonie.
L ’autre animal dont nous avons à parler, est le paresseux ou
aï, le plus stupide et le plus informe des mammifères; vrai paradoxe
d’organisation, dans des lieux où la vie surabonde chez tous
les êtres, où l’agilité se joint à l’éclat et la mobilité à l’élégance
des formes. Cependant il ne sufFisoit pas que la nature l’eût traité
en marâtre, il falloir encore que des historiens abusassent du
charme de leur style et de la confiance qu’inspiroient leurs
observations, pour exagérer l’espèce d’abjection dans laquelle il
semble vivre, et lui refuser même, par une exception qui seroit
unique, ce que la nature a accordé à tous les individus de sa
classe, deux orifices distincts pour la génération et la défécation;
mais il n’en est rien, et ce qu’on a dit de ses moeurs et de son
organisation doit être beaucoup modifié.
Nous ferons observer, pour ce qui est des premières, qu’ayant
conservé pendant dix jours un de ces animaux, vivant, nous avons
remarqué que ses mouvemens n’étoient point aussi lents que font
prétendu Pison et ceux qui l’ont copié. Tout notre équipage a vu
ïa i dos brûlé partir du pont et arriver, en vingt minutes, par les
cordages, au haut d’un mât de cent vingt pieds. Un jour même,
il se jeta à l’eau volontairement à ce qu’il paroît, et l’on eut occasion
de remarquer qu’il nageoit très-bien, portant la tête haute et avec
une accélération de mouvemens beaucoup plus considérable que
dans l’action de grimper.
Cet animai, comme l’indique sa conformation générale, n’est
nullement organisé pour marcher. L a position de ses membres
écartés du tronc, la direction de ses ongles, nécessitent de longs
mouvemens de circumduction pour qu’il puisse traîner sa lourde
masse. D ’un autre côté, la longueur des membres de devant,
presque double de celle des membres de derrière, l’action de leurs
fléchisseurs qui l’emporte de beaucoup sur celle des extenseurs, lui
rendent le grimper facile, et lui permettent sur-tout de se fixer avec
une force prodigieuse. Ainsi, il n’est pas obligé, comme on l’a dit,
de se jeter par terre, lorsque, après avoir mangé les feuilles d’un
arbre, il veut en gagner un autre. Comme il se plaît dans les endroits
sombres, ceux qui connoissent les forêts d’Amérique savent
qu’il doit lui être très-facile de passer d’un arbre à l’autre sans aller
à terre, où il auroit beaucoup de peine à cheminer.
Il paroît qu’il se nourrit principalement des feuilles d’amhaïba
ou cécropie peltée, avec lesquelles nous fournîmes à sa subsistance
pendant trois jours. Mais n’ayant pu en faire une provision considérable,
nous essayâmes les divers légumes que nous avions; il les
refusa tous, à l’exception des tiges de céleri, qu’il mangeoit lorsqu’on
les lui mettoit dans la gueule. Enfin, il mourut, probablement
pour avoir été trop long-temps exposé au soleil
> Sonnini a avancé une singulière assertion sur l’organisation des a ïs , qu’ il dit avoir étudiée
sur le v iv an t, à la Guiane. II ne leur accorde qu’une seule ouverture pour trois fonctions
diverses, un véritable cloaque, à l’ instar des oiseaux. ( Nouveau Dictionnaire d 'histoire naturelle,
tom. I , pag. I 53 ; 18 0 3 . )
V o ic i ce que nous avons trouvé dans les deux sexes : trente côtes, au lieu de v in g t-h u it;
des clavicules bien distinctes; et dans l’aï fem e lle , huit vertèbres ce rv ica le s, au lieu de neuf.
A la partie supérieure de l’anus du m â le , presque à toucher, on voit un petit tubercule
qui a la forme d’ un gland; c’est le pénis, qu’on peut faire sortir d’un demi-pouce, en le tirant;
un muscle constricteur très-fort l’entoure, ainsi que l’anus. L e reste des organes de la génération
est contenu dans l’abdomen.
L a femelle a deux ouvertures très-distinctes, séparées l’une de l’autre par un intervalle
d’environ six lignes. L ’inférieure ou l’anus est très-large pour les proportions de l’ individu ;
la supérieure, un peu moindre , arrondie , ne présentant point de lèvres v is ib le s, est surmontée
d’ un rudiment de clitoris. L e v a g in , qui vient après, profond d’environ deux pouc es,
est terminé par l’utérus, q u i, dans l’animal dont nous donnons la description, contenoit un
foetus de plusieurs mois. L a vessie vient s’ouvrir en haut du vagin.
Dans une injection que nous fîmes à la m e r , et que le mouvement du navire rendit
imparfaite , nous ne vîmes point dans le système sanguin les particularités dont parle
M. Carlisie , que les artères des membres commencent p a r se diviser en ramuscules, qui se
réunissent ensuite en un tronc d ’où partent les branches ordinaires. ( C u v iE R , Règne animal,
tom. 1 , pag. 2 1 6 . )
L ’aorte descendante se d iv iso it, comme à l’o rd in a ire , pour donner naissance aux c ru -'
raies, & c . , tandis que de sa portion supérieure partoient naturellement les sous-claviéres , d’ où
naissent les brachiales. Seulement nous remarquâmes une foule de petits vaisseaux déliés,
Voyage de VUranie. — Zoologie, ^