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laisse encore un si vaste champ aux systèmes, puisque tout est à
découvrir dans la manière dont elle s’opère. Cependant, pour
contribuer à éclairer cette matière, il ne faudroit pas répéter à
satiété ce que l’on sait déjà, et se croire obligé, parce qu’on met
le pied sur la mer pour la première fois, de renouveler des applications
de physique tout-à-fait surannées, et dont on ne parle plus
depuis long-temps. Certes, nous pouvons dire avoir observé ce
singulier spectacle sous tous les méridiens, puisque nous les avons
tous parcourus ; nous en avons même vu des effets que personne
ne cite ; eh bien ! nous devons avouer que nous ne sommes pas
plus avancés dans la connoissance du principe producteur de la
phosphorescence, que lorsque nous commençâmes à l’examiner,
il y a dix ans. Aussi, sans aspirer à l’honneur facile d’émettre une
hypothèse, nous nous contenterons d’ajouter aux faits positifs
déjà connus, quelques simples remarques à l’aide desquelles des
observateurs plus habiles dévoileront peut-être un jour la cause
de la surprenante faculté que possèdent les animaux dont nous
nous occupons.
Nous ne sommes plus à une époque où l’on mette en doute les
causes générales de la phosphorescence de la mer. Les naturalistes
ont démontré qu’elle est produite par les animalcules qui pullulent
dans ses eaux; qu’elle n’appartient ni au liquide, ni à l’électricité,
encore moins à la putréfaction, quoique, dans cet état, certains mollusques,
tels que les biphores et les calmars, soient susceptibles
d’émettre quelques lueurs, mais toujours de peu de durée*.
Une phosphorescence active tient essentiellement à la vie; car
les animalcules et les mollusques chez lesquels les fonctions vitales
sont ralenties, n’émettent presque plus de lumière, et elle s’éteint
lorsqu’ils cessent d’exister. Ce principe lumineux est parfois inhérent
* Nous avons aussi remarqué cette particularité sur une tortue de mer v iv an te , à qui on avoit
enlevé les écailles. L a superficie du dos s’ étoit ulcérée, et Ton y voyoit la nuit plusieurs points
lumineux.
à la substance de quelques méduses, de certains biphores, béroës,
&c. ; il la pénètre, et ces animaux ne sont pas maîtres de le rendre
plus actif ou de l’affoiblir. D ’autres au contraire, chose merveilleuse 1
jouissent de cette faculté, et modifient tellement la lueur qu’ils
répandent, qu’à volonté ils l’augmentent, la diminuent, ou la font
tout-à-fait disparoître, ainsi que nous le dirons plus bas.
L e calme, la chaleur, une surabondance d’électricité dans l’atmosphère,
accroissent l’intensité de la phosphorescence. L a nuit la
rend plus apparente et le mouvement la développe. Tous ceux qui
ont navigué entre les tropiques, dans le voisinage des terres et par
une petite profondeur, savent quelle brillante tramée de lumière le
vaisseau laisse après lui. Ce beau spectacle a exercé la plume de
plus d’un voyageur; et chacun, en le dépeignant selon l’impression
qu’il produisoit sur lui, ne l’a que trop souvent embelli encore par
une narration un peu fastueuse. Quoi qu’il en soit, le développement
de la phosphorescence par la collision est vraiment une
chose admirable. Dans le repos, les ondes ne laissent apercevoir
d’autre lumière que celle de quelques gros mollusques ; mais lorsqu’on
les agite, chaque molécule animée devient lumineuse. Si,
dans ces instans, ies agiles dauphins se jouent autour du navire,
on les voit décrire sous ies eaux des serpenteaux semblables à ceux
des feux d’artifice ; et quand ils viennent respirer l’air avec bruit,
l’illusion augmente, et il semble voir et entendre la déflagration
d’une fusée.
Nul doute que la viscosité de la mer ne soit due à cette innombrable
quantité d’animaux. L a plupart, que leur transparence
dérobe à la vue, deviennent, à l’aide de la phosphorescence,
des points lumineux qui s’attachent aux corps que l’on plonge
dans l’eau. De là est venue probablement l’idée que beaucoup
de poissons vivans sont phosphoriques ; il peut y en avoir, nous
ne le nions pas; cependant il faut croire qu’ils sont rares, car
nous n’en avons jamais vu. On les aperçoit très-distinctement nager