pouvaient clislraiie mon ennui. Enfin la soirée du di-
manclie amena la fin de ma captivité , et je ne songeai
plus qu’à bien employer les courts instants de liberté qui
devaient marcpier la journée du lendemain. Je n avais
formé aucun plan, je ne m’étais proposé aucun but : il
est si doux d’aller se perdre dans un beau paysage oîi
tout est digne d’être vu, et de tomlier au basard de surprise
en surprise! Cependant ces courses vagabondes
pouvaient n’être pas sans danger. Dans ces bois presque
impénétrables, dans ces gorges profondes , sur tous ces
monts cbenns , on est exposé à faire parfois de fort vilaines
rencontres. Or ce n’est po int , comme on pourrait
le croire, des jaguars on des serpents qu’ici je veux
parler: mais bien des bommes; de ces malheureux qu’un
dur esclavage a révoltés , et q u i , fuyant la tyrannie du
maître, vont cbercber loin des habitations une retraite
(pii les dérobe à sa poursuite. Les nègres marrons sont en
effet, à ce qu’on dit, fort nombreux aux environs de
Rio-Janeiro. Ils vivent de vols et de brigandage; et malheur
au blanc sans défense sur qui le basard leur permet
de venger les mauvais traitements qu’ils reçurent de ses
pareils.
« Cette réflexion aurait pu tempérer mon humeur vagabonde
et abréger singulièrement la longueur de mes
courses à travers le pays, si, fort heureusement pour
moi , il ne s’était offert une occasion de les entreprendre
en nombreuse et joyeuse compagnie.
« M. Gaudicbaud, aussi ardent à la recherche des
plantes que je l’étais à celle des vues pittoresques, avait
formé le projet d’une ascension sur le Corcovado. Cette
montagne est, comme on le sait, la plus élevée de celles
qui entourent la baie , et la vue merveilleuse dont on
jouit lorsqu’on est parvenu au sommet, vaudrait à elle
seule la peine de le gravir, quand même le cliemin à
suivre pour l ’atteindre serait moins agréable. Mon savant
compagnon de voyage me pi-oposa de l’y accompagner.
M. Souleyet, trois des passagers et un élève de la Bonite
devaient aussi faire partie de la caravane, complétée par
un matelot qui n’était pas le personnage le moins intéressant
de la troupe , car il était chargé de porter les
vivres.
« Le lundi 28, à quatre heures du matin, après m’être
muni d’un léger bagage de crayons et d’aulres objets
nécessaires pour dessiner, je quittai la Bonite avec ces
Messieurs , et nous nous dirigeâmes vers la plage de la
Gloria, que nous avions choisie pour débarquer.
« Notre toilette, combinée de façon à n’avoir rien à
craindre des roches et des fourrés , pouvait paraître un
tant soit peu grotesque , e t , toute vanité â par t , c’était
une assez bonne raison pour éviter de traverser la ville.
Cinq heures sonnaient au moment où nous posions le
pied sur la rive ; nous nous mîmes en marcbe aussitôt,
et suivant quelque temps le bord de la mer, nous arrivâmes
au jardin public, donl les allées ombreuses, très-
peu fréquentées par les Brésiliens, n’eurent pas le pouvoir
de nous retenir. Ce jardin est beau pourtant, et