sentirent tout à coup.le sol trembler sous leurs pieds; elles se rembarquèrent
effrayées et s’éloignèrent à la hâte : cet ébranlement était occasioné par un mouvement
de l’île, qui s’élevait à vue d’oeil; elle avait atteint en très-peu de jours une
hauteur d’environ vingt pieds, avec une largeur à peu près double. La présence
d’Huîtres encore vivantes prouve, d’une part, que le soulèvement s’est fait sans
dégagemens de^gaz acides, qui n’auraient pas manqué de faire périr ces animaux,
et de l’autre, que le fond ne se trouvait s?pas à une très-grande profondeur quand
les Huîtres s’y multipliaient.
L’île croissait chaque jour, mais d’une manière tout-à-fait irrégulière, et il arrivait
quelquefois qu’elle baissait d’un côté, tandis qu’elle s’élevait d’un autre, et l’on voyait
en outre surgir de distance en distance des rochers isolés, dont quelques-uns
parurent et disparurent à plusieurs reprises. Elle augmenta ainsi graduellement sans
que son accroissement fût signalé par aucun accident; et vers le 14 Juillet, elle
paraissait ronde, avait un demi-mille de circuit et vingt-cinq à trente pieds de
hauteur.
On‘commençait à croire que les phénomènes se borneraient à ce nouvel enfantement
de la nature, et n’auraient pas de suites bien importantes, lorsque'le l6 Juillet,
à environ soixante pas au nord du nouvel écueil, et dans un endroit où jusque-là
on n’avait trouvé le fond qu’à deux cents brasses, il se dégagea, pour la première
fois, de la fumée, des vapeurs et des gàz qui répandirent une grande infection.
Les eaux y étaient très-agitées et avaient acquis un très-haut degré dé température;
de vert sale qu’elles étaient d’abord, elles devinrent rougeâtres, puis jaune pâle et
enfin d’un blanc laiteux; elles firent périr une grande quantité de poissons-; vers
la fin du jour, on y .vit tout à coup s’élever une chaîne de dix-sept à dix-huit
rochers noirs, un peu séparés’ les uns dés autres; mais ils se réunirent quelques
jours après en un seul écueil, qui resta séparé du premier. Pour les distinguer, on
donna à celui-ci le nom à’&tj7rço-vri<jt ou Ile-Blanche et au dernier celui de Mocuço-
viim ou Ile-Noire; l’IJe-Blanche, qui se composait en partie de Pierres ponces,
continua de s’accroître lentement, sans secousses et sans'jeter ni flammes ni fumée;
tandis que l’Ile-Noire, composée de rochers d’Obsidienne trachytique, brune ou
noire, s’éleva et s’étendit beaucoup plus rapidement au milieu des dégagemens de
gaz et de fumées dont l’intensité augmentait graduellement. Dans la nuit du 19 au
20, l’on y aperçut des gerbes de feu, et chaque jour surgissaient de nouveaux
rochers, les uns isolés, lès autres venant accroître l’île, tantôt dans un sens, tantôt
dans un autre ; en moins d’un mois, il se forma ainsi dans le voisinage quatre
nouveaux écueils, qui ne tardèrent pas à s’y réunir. La fumée^et les vapeurs qui
se dégageaient de ces lieux, d’abord blanches, puis noires, s’élevaient en tourbib-
Ions souvent à une assez grande hauteur pour être aperçues de Naxie et même de
Gandie : ayant été poussées pendant quelque tenips sur une partie de.Santortn, lair
en fat Infecté et les habitans, qui eh farent très-incommodés, éprouvèrent de
fréquens vomissemens; elles noircirent l'argenterie .ainsi que le cuivre, et nuisirent
à la végétation, particulièrement au* vignes, jusque dans les îles d’Anâphé et de
Stampalie, où les vents du sud-est les portèrent. Cependant les trois îles farent
en même temps couvertes d’une légère couche de cendres très-figes, qui, selon
quelques habitans, produisirent une abondante récolte en céréales.
Le 31 Juillet, on s’aperçut que la mer bouillonnait et laissait échapper de la
famée en deux nouveaux endroits, l’un à trente etl’autre à soixante pas dellle-Noire;
la mer y devint jaune comme de l’huile, et la nuit un bruit sourd se fit entendre;
après chacune des détonations, qui durèrent jusqu’au no, il ^élevait de l’ouverture
principale de longues gerbes de feu. Le ni, les phénomènes furent beaucoup moins
.sensibles; mais le 32 au marin, ils redoublèrent d’intensité; la filmé® était ropge et
fort épaisse, la mer bouillonnait avec violence autour de l’île, et l’on aperçut^ sa
surface, outre le foyer principal, soixante ù quatre-vin gts'autres ouvertures,; qui
jetaient également des flammes, elle parut s’ètre beaucoup élevée, et une nouvelle
chaîne de rochers, d’environ cinquante pieds, sortie de l’eau pendant la nuit, avait
encore augmenté sajargeur; la mer était couverte de poissons morts et d’une
écume jaunâtre et rougeâtre, qui exhalait une grande puanteur.
Le 25, il y eut une explosion violente qui souleva une partie de l’île, et forma
un grand, cratère; des-rochers d’un immense volume farent lancés à plus de deux
milles; pendant cette éruption, on vit la Petite-Kaymméni jeter des flammes-Quatre
jiùrs.d’un câline complet, pendant lesquels il n’y eut aucun dégagement^ de flammes
ou de fumée, ayant succédé, l’pn crut le volcan éteint et épuisé par le grand effort qui
venait de se faire; mais le 28 il recommença avec plus d’activité : il y eut de nom-
breuses détonations, toujours suivies d’éruptions considérables, projetant en grande
quantité des matières incandescentes et solides, qui allaient retomber au loin comme
une pluie de.feu. .
Le 9 Septembre, l’Ile-Blanche et l’Ile-Noire se réunirent par des accroissemens
successifs et par l’adjonction de nouveaux rochers. Les éruptions continuelles de
celle-ci ne tardèrent pas à la rendre le centre de toute l’île; la partie sud-ouest avait
cessé.de croître, et il n’y eut plus que le grand cratère avec quatre cKeminées latérales
par où la-fumée sortait quelquefois avec impétuosité et en produisant des
sifflemens considérables. Ces phénomènes continuèrent ainsi durant les mois d’Oc-
tobre, Novembre, Décembre 1707 et Janvier 1708, pendant lesquels il ne se passa
guère de jours où il ne se fit deux ou trois éruptions, et souvent il y en eut un plus
grand nombre.
Dans la nuit du 10 Février on ressentit à Santorin une légère secousse de trem