traint de renoncer à ce projet attrayant ; mon
malheureux compagnon eût succombé sans
doute à la longueur du voyage *.
II n était personne à qui je pusse le confier
dans i état de faiblesse où il se trouvait. * Je me
procurai une karmoute**, que nous attachâmes
sur un chameau ; nous le couchâmes ensuite
dedans; et nous quittâmes Sennâr le l.er mars,
accompagnés d’un cheykh de village et de quelques
troupes qui venaient avec nous jusqu’à
Arbagui. Le soir, nous fîmes halte au grand
village de Taïbah : je fus surpris de le trouver
abandonné ; les habitans, déjà surchargés d’im-
pots par le pacha, se voyant encore pillés à
chaque passage dé troupes, avaient pris le parti
de se retirer sur l’autre rive du fleuve, et y
vivaient errans dans les bois.
Maîtres de notre temps, nous ne faisions que
de petites journées de cinq à six heures de
* Cette circonstance, qui me contrariait si fort, fut vraisemblablement
la cause de notre salut : en prolongeant notre séjour dans
ces contre'es impatientes du joug, nous nous serions trouvés au
milieu des soulèvemens et des massacres dont elles devinrent plus
tard le the'âtre.
Espèce de panier long, dans lequel les Arabes transportent
leurs femmes en voyage. ( Voyez vol, I, pl. LXIII, à gauche du
dessin.)
marche. Nous couchâmes, le 2 mars, àAd-deney-
qeyleh, village sur le fleuve, et presque désert
aussi; le 3, à el-Qesseyreh , et le 4 à Ouâd-
Modeyn. Nous avions traversé plusieurs villages
où régnait toujours la même solitude. J’étais
ennuyé de la triste et fatigante monotonie
de ce pays plat, où la vue se perd sans cesse
sur des plaines immenses et incultes, et ne découvre
qu’à de grands intervalles quelques
bouquets d’acacias, et sur-tout de nebkas, arbres
qui sont très-communs jusquà la hauteur d’Ouâd-
Tarâby. Par l’effet du mirage, ces massifs de
végétaux, qui se montraient presque toujours
à l’ouest dans le lointain, avaient l’apparence
d’îles verdoyantes dominant au-dessus des eaux.
Ismâyl, qui n’avait pas oublié Tinfiuence
meurtrière qu’avait exercée sur ses soldats leur
séjour à Sennâr durant la saison des pluies,
m’avait chargé de chercher une position convenable
pour y camper lors du retour de cette
époque funeste; j’avais reçu de Divan-Effendy
la même recommandation. Je jugeai que le
voisinage d’Ouâd-Modeyn réunissait les conditions
requises, et je le leur fis savoir. J ’appris
par la suite que cet avis avait été adopté.
Le 5 mars, la route s’écartait davantage du