jusqu’au fond des retraites humides des hippopotames
alarmés, qui sortaient par troupes sur
notre passage, en faisant entendre de longs
mugissemens ; les singes, les pintades, semblaient
exprimer par leurs postures et par leurs cris, la
surprise qu’ils éprouvaient à la vue d’un spectacle
jusqu’alors inconnu dans ces solitudes.
Dans la nuit , nos Arabes avaient vu des
éléphans venir se désaltérer au fleuve. Ils commençaient
à se montrer plus communément.
Le 20, à six heures et demie, nous continuâmes
à naviguer. Au bout de trois heures et
demie, des rochers disséminés sur l’eau nous
annoncèrent l’approche d’une cataracte: avant
de nous y engager,1 nous descendîmes à terre
pour aller reconnaître le passage. A dix heures,
notre barque pénétra dans la cataracte d’el-Qerr,
nom qu’elle prend d’un village situé sur la rive
orientale : aucune habitation ne se montrait sur
la rive opposée. Ici des rochers s’élevaient de 3
et 4 mètres au-dessus des eaux, et ne laissaient
entre eux que des passes de 10 à 15 mètres.
Quinze hommes, sautant de rocher en rocher,
mainte naient*notre embarcation à l’aide de deux
cordages, et l’empêchaient de céder à la violence
du courant. Nous n’avions pas, au premier
abord, jugé ce passage très-dangereux; et cependant
nous fûmes à la veille d’éprouver ici le
sort dont Mungo-Park avait été victime sur le
Niger. Après avoir circulé péniblement pendant
une demi-heure à travers les anfractuosités de
ce dédale périlleux, la barque toucha rudement
contre une roche : la proue fut brisée par le
choc. On visita l’intérieur; êt pour ne point
s’effrayer l’un l’autre, on assura que le dommage
était peu de chose. On continua donc de manoeuvrer;
mais il s’était à peine écoulé un quart
d’heure, lorsqu’on s’aperçut que la barque se
remplissait d’eau à l’arrière. Les Arabes ne sont
point gens à montrer du calme et du sang froid
dans le danger : à l’instant, ce furent des cris,
une confusion, un tumulte général: les uns
jetaient à la hâte et pêle-mêle sur les rochers
tout ce qui leur tombait sous la main; les
autres s'efforcaient d’épuiser l’eau qui envahissait
toute l’embarcation. Je me précipitai, moi, sur
les bissacs où j’avais renfermé les cartons qui
contenaient mes dessins : il était temps ; déjà
l’eau les avait effleurés. Naguère je les avais disputés
au flammes; cette fois je réussis à les arracher
à un élément non moins redoutable pour
eux : il n’en fut pas de même de quelques-uns