kaymakans avaient été massacrés dans íes villages
confiés à leur commandement ; enfin íes troupes
laissées an Sennâr’étaient menacées d’une extermination
générale, si ie pacha ne hâtait son retour.
|ï n’était plus possibie d’hésiter : que pouvaient
opposer le courage et la ténacité à l’impulsion
irrésistible des circonstances? ilfallut se soumettre,
et renoncer à pénétrer plus avant. Le prince me
dit que nous partirions le lendemain. Cette nouvelle
, que je m’empressai de porter à M. Letorzec,
ne l’émut que faiblement : toujours persuadé
qu’il ne reverrait plus la France, il ne songeait
en ce moment qu’aux fatigues du long trajet qu’il
aurait encore à faire sur ce sol étranger. La fièvre
le consumait de plus en plus, sans que je pusse
lui procurer le moindre soulagement ; aucun
remède ne semblait agir sur lui. Quant à moi,
vainqueur des fatigues etde l’influence des climats
divers, j’oubliais, comme le conquérant Ismâyl,
que nous avions franchi un espace de huit cents
lieues au-delà d’Alexandrie ; mais, comme lui
aussi, je devais reconnaître que la providence
avait placé ici une barrière qu’il nous était interdit
de dépasser. Eh! ne devais-je donc pas
m’estimer heureux d’avoir pu atteindre presque au
dixième degré de latitude ; d’être, avec mon infortuné
compagnon.de voyage, les seuls dé nos contemporains
d’Europe qui eussions étendu nos
recherches jusqu’aux confins méridionaux de
l’Abyssinie? Ismâyl, quoique tourmenté par des
accès de fièvre périodiques, n’avait rien perdu de
cette énergie qui l’avait soutenu dans toute la campagne.
Certes, il fallait qu’il fût doué de beaucoup
de courage, de persévérance, et même de génie,
pour avoir, avec un faible corps d’année de quatre
mille hommes mal payés, mal nourris, parcouru
en tout sens des contrées barbares et sauvages ,
envahi, en moins de deux ans, quatre cent cinquante
lieues de pays, conquis douze provinces
et un royaume, et lutté sans cesse contre une
foule de peuplades belliqueuses !
Les préparatifs de départ furent ordonnés
pour le lendemain 11, et l’armée se mit en marche
à huit heures. Avant de quitter Singué, je voulus
que mes regards au moins parcourussent, aussi
loin qu’ils pourraient s’étendre, les régions dont
l’inexorable destin nous interdisait l’accès : je
montai sur une éminence; et là, armé dune
longue-vue, je cherchai à découvrir le lieu où
mon imagination plaçait les sources du fleuve
Blanc. Efforts inutiles ! je ne pus que me convaincre
de nouveau combien est borné l’espace que