VOYAGE À MÉROÉ,
accrut son mal : il se frappait de l’idée qu’il ne
reverrait plus son pays natal. Combattu par la
crainte de le perdre faute de secours, et par le
désir de voiries contrées nouvelles que le pacha
se proposait de parcourir, j’éprouvais une bien
vive anxiété. Enfin, le 5 février, à la nuit, on
commença à charger. Pour ne pas trop fatiguer
mes chameaux, qui n étaient pas très-vigoureux,
je fis encore le sacrifice de ma tente, que je laissai
à la disposition des nègres de Qamâmyl. M. Le-
torzec monta sur mon cheval et moi sur un chameau
, et à six heures nous partîmes. La plupart
des soldats ne pouvaient revenir de leur surprise,
en voyant qu’on se dirigeait encore au sud;
tous avaient envisagé comme un effort surnaturel
d’avoir pu pénétrer jusqu’ici. Les Chaykyés
avaient fait un mannequin figurant un homme,
et censé représenter un des leurs : c’est une
coutume établie parmi eux, d’enterrer un pareil
mannequin au lieu où est fixé le terme de leurs
grandes expéditions. Des Chaykyés allaient
complaisamment à pied, afin de pouvoir placer
sur un chameau cette représentation burlesque ,
dont la vue amusait beaucoup les Osmanlis. A
sept heures et demie, on entra dans un bois ;
nous traversâmes ensuite des coteaux; plus loin
nous gravîmes sur des montagnes où étaient
quelques habitations éparses abandonnées par
les nègres, et auxquelles les soldats mirent le
feu. A dix heures trois quarts, on traversa le
Tournât, qui, resserré entre des coteaux, n’a ici
que soixante pas de largeur. A onze heures,
nous passâmes sur une montagne CQuverte d’habitations
récemment évacuées, et toujours semblables
à celles de Qamâmyl : elles devinrent de
même en grande partie la proie des flammes,
ainsi que le dourah quelles renfermaient et
qu’on ne pouvait emporter faute de bêtes 'de
charge. On continuait à marcher sur cette montagne
, où se montraient çà et là quelques
cabanes. La terre creusée sur divers points,
annonçait qu’ici les habitans se livrent à la recherche
de l’or. De cette région élevée, la vue
s étendait, à l’est et au sud, sur des coteaux
couverts de bois; à l’ouest, elle était bornée par
la chaîne de montagnes de Singué et de Qebeych.
A midi un quart, on descendit dans une vallée :
à trois quarts de lieue plus loin, nous traversâmes
une petite rivière de cinquante pas de largeur,
appelée Oualed-Tournât [enfant du Tournât],
et qui est en effet une branche de celui-ci : l’eau
y coulait rapidement, et nous venait jusqu’à mi