3 3 6 VOYAGE À M É R O É ,
Le 11, nous débarquâmes au lazaret de Marseille.
Le premier bâtiment , qui arriva d’Egypte
peu de temps après, nous apporta des détails sur
la triste fin du brave Ismâyl. Enchanté sans
doute d’être rappelé auprès de son père, fier
d’avoir exécuté avec de faibles moyens tout ce
qui était humainement possible, et d’avoir le
premier fait flotter l’étendard ottoman dans des
contrées où les armes des Perses et des Romains
ne purent jadis pénétrer, le jeune prince
avait quitté Sennâr et se dirigeait vers l’Egypte.
Arrivé à Chendy, il commit l’imprudence grave
de s’éloigner de son camp, et d’aller dans un
village voisin célébrer par un banquet nocturne,
avec une petit nombre des siens, le bonheur
d’être bientôt rendus à leurs foyers. Nimir où
Nêmr, ancien roi de la province, ne justifiant
que trop le nom de Tigre, qui est l’équivalent
du sien, avait voué à Ismâyl une haine éternelle.
A la faveur des ténèbres, il accourut à
la tête de sa troupe chargée dê matières combustibles,
et en un clin d’oeil un vaste incendie
enveloppa la maison où le jeune prince et, ses
amis dormaient dans une sécurité perfide. II
leur fut impossible de se frayer une issue à travers
les flammes, et ils périrent suffoqués. Les
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troupes du camp étant venues en toute hâte,
mais malheureusement trop tard, ne trouvèrent
plus^ue le tronc de leur infortuné général mm
tilé par le feu : ces tristes restes furent transportés
au Caire, où ils reçurent les honneurs de la
sépulture. Tous les hommes préposés à sa garde
qui l’avaient accompagné, avaient été pris ou
taillés en pièces. Le Grec, son premier médecin,
fut d’abord épargne ; mais ce ne fut que pour lui
faire subir une mort plus cruelle : on lui arracha
d’abord toutes les dents, et elles furent partagées
entre les principaux du.pays, qui les serrèrent
précieusement dans de petits sachets de cuir,
pour les porter sur eux en guise d’amulettes;
car, dans l’opinion de ces peuples superstitieux,
le possesseur d’une dent de médecin n’a plus
à redouter aucune maladie. A la suite de cette
cruelle opération, il fut massacré*. Nimir prit
la fuite avec ses complices , et se retira dans le
Darfour.
Mohammed-Aly donna ordre à Mahamet bey
son gendre de tirer vengeance d’une aussi horrible
trahison. Ce bey , d’un caractère cruel, ne
s’acquitta que trop ponctuellement de sa mission.
J’ai'cité divers'traits de la conduite atroce de ce dernier, qui
doivent peu le faire regretter.
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