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tant d’autres animaux, bien plus grands que le mouton, pourvus d’un duvet
plus fin et plus épais que le sien, ne se couvriraient-ils pas comme lui d’une
épaisse toison, s’ils étaient exposés à l’action des causes qui l’ont produite? On
peut en dire autant de tous les autres résultats utiles dus aux influences extérieures.
L’application de nouvelles causes ferait naître de nouveaux effets ; et qui sait
où se bornerait, en ce genre, la puissance de l’homme?Rien de semblable cependant
n’a encore été tertt'é ; il n’existe même aucun établissement où ces vues puissent
être fécondées ; tout ce que nous possédons a été le fouit du hasard, et l’on pourrait
sans doute encore se reposer sur le hasard du soin de nous .servir, si en réglant
tout pour notre situation nous ne l’avions pas mis dans l’impossibilité d’agir, si le
cercle dans lequel nous roulons n’était pas invariablement tracé par nos habitudes
sociales..
Les considérations sur lesquelles nous nous sommes arrêtés jusqu’à présent
sont cependant bien loin d’embrasser tout ce qui fait le partage de l'histoire naturelle
des Mammifères. Les faits que j ’ai rapportés, je np les considère en quelque
sorte que parce qu’ils ont de matériel ,"êt je ne remonte point au delà; or c’est
surtout en étudiant les animaux dans les principes mêmes de leur activité, qu’on
peut s’éclairer sur les vues de-la nature dans la formation des êttçs ,animés.
Les esprits ont flotté pendant long-temps au milieu- des idées les plus opposées,
relativement à ces principes, envisagés dans les phénomènes qui les manifestent;
je crois avoir établi qu’ils sont de deux .sortes : les uns tout-à-Êiit indépendans
des organes, les autres au contraire entièrement organiques. Les premiers supposent
manifestement de la liberté, en ce sens qu’ils agissent toujours conformément
à ce que les circonstances ont de fortuit et de passagerÿitandis que les
seconds sont invariablement soumis à tout ce qui les entoure. L’intelligence préside
aux uns, les autres sont l’instinct. Il faut donc distinguer la part que chacun de
ces principes prend aux actions, car leur influence est bien différente. L’immense
majorité des animaux est exclusivement dirigée par l’instinct ; il n’y en a qu’un
' petit nombre d’entre eux qui soient doüés de quelques portions d’intelligence ; et
c’est parmi les Mammifères surtout qu’on rencontre ces derniers.
L’intelligence, ÿSrKble comme tout ce qui l’entoure, paraît se rapporter principalement
à l^xistêncë1 des-iiixeg qui en sbnt doi:iés,^et_n(j^se -rattacher quà
l’ensemble de la création. Avec elle on peut supposer tout état de choses possible
: elle se ploie ou se soustrait à toutes les nécessités, et se-soumet ou échappe
à toutes les influences : aussi voyons-nous l’espèce humaine, qui en a reçu la plus
grande part, s’étendre dans toutes les régions de la terre, sous tous les climats,
supporter l’excès du besoin comme l’excès de l’abondance, vivre sous les glaces^
étemelles du pôle, comme sous le ciel dévorant de l’équateur; en un mot, dominer
partout, et n’être nulle part asservie qu’à elle-même. L’instinct, au contraire, par
son invariabilité, semble plus spécialement appartenir à la terre. Un lien indissoluble
l’attache à la matière. Il a été formé pour ce qui l’entoure, comme ce qui
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l’entoure a été formé pour lui. Tout autre ordre, toute autre nature sont incompatibles
avec sa conservation ; car les conditions d’une activité nécessaire sont
nécessaires elles-mêmes ; et quand le castor fut créé pour bâtir avec du bois et
de la terre, quand le hamster fut destiné à former des magasins de graines, quand
le lapin dut se creuser des terriers, il fallut des terres propres à être pétries,
des arbres propres à être coupes, des plantes propres à donner des graines nombreuses,
des terrains propres à être fouis. On peut en dire autant de tous les
objets des besoins des animaux, qui ont nécessairement dû coexister avec ces
besoins. Et ce ne sont point là des causes finales : je ne dis point que les céréales
ont été faites pour les hamsters ; mais que l’un étant donné, les autres l’étaient de
même. On ne peut pas concevoir autrement l’existence de l’univers.
Après avoir exposé d’une manière succincte les considérations qui font l’objet
spécial de la zoologie, nous avons fait connaître de quelle manière doit être envisagé
l’ouvrage auquel ce discours sert d’introduction. Il est cependant encore deux
points que nous devons traiter, quoiqu’ils ne se rattachent que secondairement à la
science qui nous occupe. Je veux dire l’histoire des espèces et leur synonymie.
Outre l’intérêt de toute histoire considérée comme urt témoignage de notre développement
moral, celle des êtres naturels en a un qui est particulier à la science
dont ils sont l’objet. Elle donne les moyens de remonter à toutes les sources, à
tous les faits primitifs, et par là d’apprécier tous les raisonnemens et toutes les
conjectures auxquelles ces faits ont donné lieu ; elle permet de fixer avec précision
la mesure des travaux de chaque auteur, et dirige plus sûrement dans les recherches
que la science demande, et qui restent à faire. Rien ne doit donc être négligé
pour rendre cette partie de l’histoire naturelle aussi complète qu’il est possible.
Par là on aura beaucoup avancé ce qu’il peut y avoir à dire sur la synonymie ;
car j ’estime peu les soins qui consistent à donner à un animal un nom différent
de celui qui est adopté, sans rien ajouter aux connaissances dont il était'l’objet.
Je n’envisage les noms, en histoire naturelle, que comme des signes plus ou moins
arbitraires destinés à nous rappeler un être ou une collection d’êtres déterminés,
(fhivjm- peuple a donné aux productions de la nature qui lui sont connues, un
nom conforme à-son langage, et cette synonymie doit être recueillie, car elle peut
nous diriger dans la recherche de ces productions. Il eu est de même de celle des
voyageurs et des naturalistes qui observaient dés êtres nouveaux, ou qu’ils croyaient
tels : leurs récits sont les sources les plus pures où nous puissiofts puiser. Mais des
noms auxquels aucune observation nouvelle ne se rattache, et qui n’ont d’autre
but qu’une vaine signification de caractères particuliers, ou qu’un système fantastique
de nomenclature , ou bien encore que des consonnances plus ou moins
agréables à 1 oreille, j en tiens peu de compte : ces noms nouveaux, rarement utiles
n’ont guère d’autre objet que de dépouiller de leurs droits de légitime«possesseurs.
Une dernière question me reste à résoudre : parmi tous les noms donnés à une
espèce, à un genre, etc., lequel doit-on préférer? le nom que cette espèce ou ce