raison considérer les cétacées comme des mammifères d’une nature très-particulière
dans leur ordre, et beaucoup plus éloignés des espèces qui leur ressemblent
le plus parmi celles qui vivent sur terre, qu’aucune de celles-ci ne
peuvent l’être l’une de l’autre. C’est sur-tout par leurs mouvements que ces mammifères
s’éloignent de tous les autres; l’extrême brièveté de leur cou, qui, dans le
squelette, n’a que quelques lignes de longueur, quoiqu’il se compose de sept
vertèbres, comme celui des mammifères dont le cou est le plus étendu, rend
tout mouvement particulier de la tête presque impossible, et la transformation
de leurs membres antérieurs en nageoires, extérieurement du moins, s’opposent
à ce qu’ils emploient ces membres ni pour saisir ni pour se défendre. Dès qu’ils
veulent approcher une partie de leur corps d’un objet, il faut que leur corps
entier s’en approche, et leurs principaux moyens de progression sont dans leur
queue, composée de muscles épais et nombreux; aussi devient-elle pour eux
une arme puissante. Lorsqu’ils se jouent sur les flots, et que l’impulsion qu’ils
se donnent par les mouvements de leur nageoire caudale, est légère, leurs
autres nageoires, celle du dos et celles des côtés de la poitrine, pouvant la
modifier, on les voit faire des mouvements plus ou moins circulaires, et même
s’élever hors de l’eau; mais, lorsque cette impulsion est violente, ils volent
comme un trait, 1 oeil les suit à peine, et ils peuvent ainsi parcourir des espaces
immenses; aussi le Dauphin vulgaire a-t-il été rencontré dans toutes les mers,
au pôle austral comme au pôle boréal, et dans la mer Pacifique comme dans
1 Océan occidental. Ces animaux diffèrent moins des autres mammifères par
leurs sens, et ils paraissent avoir une grande étendue d’intelligence, du moins
les dimensions de leur cerveau surpassenlrdnHjeaucotip'TSÎÎeS^dü cerveau de la
plupart des autres mammifères,.^.
Les organes du mouvement se composent de nageoires. Les pectorales sont
de véritables mains, composées des os du carpe et des phalanges des doigts;
et cette main est attachée aux os du bras, qui sont eux-mêmes articulés à
une omoplate; mais la main paraît seule en dehors, et elle est enveloppée
dans un prolongement de la peau , de sorte que les doigts ne peuvent se
mouvoir séparément ; elle peut cependant s’appliquer sur les côtés du corps
et se reployer sur la poitrine. La nageoire dorsale n’est qu’un prolongement
adipeux qui ne peut que se mouvoir de droite à gauche; elle est soutenue
par une série de petits os qui correspondent aux apophyses épineuses des
vertèbres, et qui semblent être le rudiment, chez les mammifères, de l’appareil
beaucoup plus compliqué qui soutient la nageoire dorsale des poissons.
La caudale consiste aussi dans un épanouissement de la peau qui
recouvre la queue; elle est horizontale et est susceptible de quelques mouvements
particuliers ; mais sa plus grande action sur l’eau lui est imprimée
par les muscles de toutes les parties postérieures du corps. Les yeux sont
petits et garnis de paupières; leur pupille a la forme d’un coeur, et la membrane
de l’intérieur, nommée ruichienne, est extrêmement remarquable par
son éclat doré. On assure que ces animaux ont la vue très-bonne. L’oreille
n’a point de conque externe; une légère ouverture annonce le conduit auditif;
mais l’oreille interne a le plus grand développement; aussi l’ouïe du Dauphin
paraît-elle avoir une délicatesse telle qu’on serait presque tenté d’admettre
comme véritables tous les effets rapportés par les Anciens de la musique sur
le Dauphin. La bouche étroite, allongée en forme de bec, est dépourvue de
lèvres. La langue est douce; ses bords sont déchiquetés en petites lanières,
et on voit à sa bâse des ouvertures dont l’objet n’a pas été déterminé. Ces
animaux se nourrissent de poissons, qu’ils avalent presque entiers. Leur goût
n’a*pu acquérir un grand développement; et leur toucher est le plus obtus
de tous leurs sens; car ils n’ont ni poils, ni moustaches, ni organes de préhension
, et toute la surface de leur corps est revêtue d’un lard épais, qui doit
nécessairement émousser l’impression des corps extérieurs sur ce sens. Quant
à l’odorat, on n’a encore pu faire que des conjectures sur la manière dont il
s opère, car il existe certainement, au rapport de tous ceux qui ont pu observer
ces singuliers animaux. L analogie a conduit à penser qu’ils perçoivent les
odeurs par les conduits extérieurs de la respiration, qui sont les évents, organe
particulier aux cétacées, et sur les fonctions duquel nous reviendrons plus expressément
en traitant de ces animaux d’une manière générale ; nous exposerons
aussi alors les hypothèses qu’on a faites sur leur sens de l’odorat.
Lèvent du Dauphin est situé au-dessus et entre les deux yeux; il consiste
extérieurement en une ouverture en forme de croiss'ant, dont les cornes seraient
dirigées en avant ; cette ouverture est commune à deux canaux qui se
réunissent en un seul immédiatement au-dessous d’elle; c’est par-là, et au
moyen dun appareil particulier, que l’animal se débarrasse de l’eau qui entre
dans sa bouche lorsqu’il s’empare de sa proie. Cette eau, qui est chassée par
lair du poumon,.sort en jaillissant, ce qui a fait donner à ces animaux le
nom de Souffleur. Lorsque le Dauphin veut respirer, il approche l’ouverture
de son évent^ie la surface de l’eau, etjüair pénètre dans sa poitrine dès qu’il
s’est débarrassé de celui cjui sy^oüvait; mais si cet évent est l’ouverture par
laquelle la respiration se fait le plus habituellement, cette fonction peut cependant
aussi s’opérer par la bouche, comme chez les autres quadrupèdes. L’évent
représenterait les narrines de ces derniers; en effet il n’y a point de traces de
narines à l’extrémité du museau du Dauphin. Les organes de la mastication consistent
en des'dents coniques, pointues, un peu renflées dans leur milieu, et qui
sont semblables l’une à l’autre dans toute l’ètendue des deux mâchoires. Leur
nombre, à ce qu’il paraît, varie; l’individu dont je parle en avait trente-deux
à chaque mâchoire; mais on en a trouvé un bien plus grand nombre à d’autres
individus. Cet animal, qui était femelle, avait l’orifice du vagin très-simple,
et on voyait sous le ventre quatre mamelles. Sa couleur en-dessus était d’un gris
d’ardoise, qui produisait quelques reflets blanchâtres : le dessous du corps était
entièrement d’un blanc-argentin.
On ne connaît point les moeurs de ces singuliers animaux, malgré tout ce
que les auteurs de l’antiquité ont rapporté d’extraordinaire à ce sujet ; ils seraient
cependant bien curieux à étudier sous ce rapport, si, comme l’organisation
de leur cerveau le fait présumer, ils sont doués d’une grande capacité
intellectuelle; et l’on est dépourvu de renseignements exacts sur leur génération.
On croit qu’ils se réunissent par paires, et que cette union n’est jamais
détruite; et Aristote rapporte que la gestation de la femelle est de dix mois, et
qu’elle porte ses petits en les pressant contre elle avec ses nageoires pectorales.
On les voit quelquefois remonter assez avant dans les grands fleuves , ce qui
fait conjecturer qu’on pourrait les faire vivre dans l’eau douce ; et ils se réunissent
habituellement en troupes.
Le Dauphin vulgaire est connu depuis la plus haute antiquité. Quelques