Ce sont sans doute les effets de cette indifférence, et la disposition naturelle
qui nous porte à attribuer aux autres ce que nous observons en nous,
qui auront fait accorder aux Lions ces sentiments humains qui ne sont même
jamais pour notre espèce que les résultats d’une parfaite sécurité. Les Anciens
nous ont, les premiers, induits en erreur sur le naturel du Lion, qu’ils auraient
pu reconnaître bien plus aisément que nous encore; mais ils mettaient
peu d’importance à l’art d’observer, nappréciant pas 1 influence des faits particuliers
sur les idées générales. Ils nous assurent qu’on trouvait en Thrace
des Lions si craintifs, qu’ils se laissaient battre et chasser par les femmes.
Il paraît que cette race dégénérée n’existe plus aujourd’hui ; et les Lions
d’Afrique, qui ont éprouvé davantage les effets de 1 empire de 1 homme, sont
loin encore d’une soumission aussi servile, dune dégradation aussi profonde.
Le Lion du Sénégal, grâces à la superstition des nègres, a dû conserver
toute son indépendance originelle; rien n’ayant détruit sa confiance en ses
forces, son courage est reste pur, et sa férocité ne s est exercee que pour ses
besoins. Celui dont nous donnons la figure avait du moins ce caractère. On
rencontre peu d’animal aussi confiant et plus docile aux bons traitements ;
son gardien vivait avec lui comme il aurait vécu avec un chien; il ne se
refusait à rien de ce qu’on lui demandait, quand on n employait pas la violence
; mais dès que la contrainte se faisait sentir , il résistait, et la plus
légère insistance aurait fait naître sa colère. Sa prison n’avait rien changé
à son caractère; il conservait, dans 1 étroit espace ou il était renferme , la
plus grande indépendance morale : c’est qu il avait été réduit très-jeune en
esclavage, et n’avait jamais été contraint dobéir a personne; tant il est vrai
qu’il n’y a de soumission véritable que celle des sentiments ou de la volonté.
Il se distinguait du Lion de Barbarie par un pelage d’une teinte plus
jaunâtre et plus brillante, et par une crinière moins épaisse et moins longue.
Sa taille était aussi plus petite. Du reste, il n’y a aucune différence entre
ces deux races de Lions: les couleurs sont distribuées de même; l’organisation
de l'un est celle de l’autre, et ils en font le même usage, en tirent
les mêmes services ; aussi, les points par lesquels ces animaux diffèrent ne
sont-ils pas assez importants pour quil soit possible den constituer deux
espèces. J’ai vu des Lions de Barbarie dont la crmiere était assez peu touffue,
et il est difficile de croire qu’il ne sexi—rencontre pas de différente teinte
dans le pelage et de différente grandeur dans la taille.
Ce Lion avait tous les caractères du genre des chats, que nous avons fait
connaître en décrivant le serval , et sur lesquels nous reviendrons encore
en traitant de ce genre d’une manière générale. Nous nous étendrons aussi
davantage sur les caractères spécifiques, lorsque nous parlerons du Lion de
Barbarie, que nous regardons comme la variété principale et que nous connaissons
mieux, cette variété s’étant reproduite dans notre ménagerie qui en a
possédé un très-grand nombre d’individus.
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