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LE CASTOR DU CANADA.
L ’ i n s t i n c t de la sociabilité, ce penchant naturel qui porte certains mammifères
à sè rapprocher les uns des autres, et même à se défendre mutuellement, résulte
sans doute de dispositions innées, qui dépendent tout-à-fait de l’organisation, et
qui ne sont point une acquisition de l’expérience ; mais l’on tombe dans une
grande erreur, lorsque l’on fait dépendre de la même cause, l’harmonie qui règne
ordinairement entre ces animaux, le sacrifice que nous leur voyons faire si souvent
de leur intérêt particulier pour leur bien commun, l’oubli où ils semblent
être de leur force dès qu’elle pourrait nuire à leurs semblables. S’ils renoncent
entre eux aux droits du plus fort, et se soumettent à des lois morales, à une
sorte de conscience du devoir, c’est uniquement par l’influence qu’ils exercent les
uns sur les autres, par l’éducation que les jeunes reçoivent des adultes, à l’âge
où ils sont encore forcés d’obéir, et qui, les contraignant sans cesse à ne point
s’écarter du cercle tracé par les circonstances à leur association, finit par ployer
sous le joug de l’habitude, et leurs actions, et leurs besoins eux-mêmes.
Ce qui le prouve incontestablement, c’est que ces animaux perdent toutes leurs
qualités sociales, dès que quelque cause puissante les a tenus isolés, et les a
forcés à vivre solitaires. Le chien lui-même,-qui est-porté à-se réunir en société
et par son organisation, et par la profonde influence qu’il a reçue de la domesticité,
n’est plus qu’un animal féroce ennemi de toute soumission, lorsqu’on l’élèvè
sous la seule influence de la nature inanimée et d’une résistance passive. Le
Castor, dans les mêmes circonstances, présente exactement le même phénomène.
Son instinct lui reste, mais ses besoins individuels s’étant seuls développés,
le mettent en guerre ouverte avec ses semblables, et rendent tout accord
impossible entre eux et lui. Elevés ensemble, ils auraient'vécu dans une parfaite
harmonie, et auraient travaillé de concert; formés loin les'uns des autres, ils
ne peuvent plus vivre que pour eux seuls. C’est ce que nous ont montré plusieurs
Castors du Canada que la ménagerie du roi a possédés, et qui, ayant, été pris
très-jeunes, et nourris solitairement dans des cages étroites, n’avaient pu s’habituer
qu’a la volonté de leurs maîtres. Aussi chaque fois qu’on a tenté de les réunir, on
les a vus se livrer de violents combats, et se faire de graves blessures; ce qui a
toujours forcé de les séparer, par la crainte qu’on avait de perdre des animaux
précieux, dont il était curieux d’étudier les moeurs. Celui que j’ai fait représenter
nous avait été envoyé de Brest par M. Chauchard, qui l’avait reçu de Terre-
Neuve. C’était un animal fort doux, habitué à la présence de l’homme, qui se
laissait toucher et transporter à la main d’un lieu dans un autre , avec la plus
grande confiance, et qui avait même fini par vivre très-familièrement avec des