côté de leur corps. Habituellement leur tête est retirée entre les deux épaules;
mais le cou peut très-aisément s’allonger de toute sa longueur.
Les sens chez ces animaux n’ont aucune délicatesse comme mes expériences
me l’ont démontré, et comme on aurait pu le conclure de leur genre de vie,
qui consiste dans un repos presque continuel.
La vue est peut-être le moins grossier; ils distinguent à quelque distance ; mais
ils voient mieux dans un jour faible que dans une vive lumière, et ils ne paraissent
pas distinguer aisément les formes. Je crois pouvoir tirer cette conséquence,
de ce que ces Phoques n’ont jamais manqué de venir prendre une nourriture
qu’ils rejetaient constamment, quoiqu’elle eût une forme très-différente de a seule
dont ils voulussent goûter. L’ouïe est proportionnellement beaucoup plus imparfaite
encore que la vue ; aucun organe ne se trouve à l’exténeurpour recueillir
les sons, et l’animal passant la plus grande partie de sa vie au fond des eaux,
obligé de fermer l’entrée de ses oreilles, reste presque étranger a toutes les vi-
bradons sonores; de sorte que le peu d’exercice de ces organes suffirait seul pour
entretenir en eux le peu de délicatesse qui les caractérise.
A en juger seulement par les organes extérieurs, l’odorat ne semblerait pas
devoir être, pour ces animaux, d’un secours plus grand que les sens dont il
vient d’être question. Ainsi que les oreilles, les narines sont obligées de rester
fermées tout le temps que l’animal vit loin de l’air; et, comme eest au milieu
des eaux qu’il poursuit sa proie et s’en empare, il ne peut consulter son odorat,
du moins à la manière ordinaire, pour la choisir et la juger. Cependant,
si les cornets du nez ont quelque influence sur l’étendue de 1 odorat, le Phoque
doit percevoir très-facilement les odeurs les plus faibles, car aucun anima
peut-être n’a des cornets dont les circonvolutions soient plus nombreuses. Il
ne lui resterait donc qu’un seul moyen de sentir , ce serait de mettre les
émanations odorantes des corps renfermés dans sa bouche, en contact avec la
membrane piluitaire, en les introduisant dans le nez par le palais.
Cette conjecture ne paraîtra peut-être pas sans fondement si Ion considere a
quel point le goût sert peu à ces animaux. Ils se contentent pour toute mastication
à réduire le poisson à des dimensions telles qu’elles puissent traverser
le pharynx et l’oesophage; et pour cet effet, ils se bornent ordinairement a
presser ces poissons entre leurs dents, de manière à les rétrécir et a les ramener
à des mesures convenables. D’autres fois Cependant ils déchirent leur
proie avec leurs ongles, mais très-souvent ils l’avalent toute entière quoiquelle
soit pour ainsi dire, plus grande que leur bouche; aussi sont-ils obliges, pour
que la déglutition s’opère , d’élever leur tête afin que le poids des aliments
contribue à les faire glisser dans l’oesophage et dans l’estomac, et favorise les
efforts des muscles. ,
Nous avons peu de chose à ajouter à ce que nous avons dit du sens du
toucher. Il est évident que le Phoque doit avoir des notions tres-bornees des
qualités des corps qui sont transmis à notre entendement par ce sens , et il
est très-vraisemblable qu’il le met plus en usage pour juger de la presence
des objets que pour apprécier leur forme, leur dimension ou leur durete; ses
moustaches doivent remplir cet objet de la manière la plus convenable pour
un animal carnassier, qui , le plus souvent, ne peut pas être averti de la
présence de sa proie ou de son ennemi, par sa vue, par son ouïe ou par son
odorat.
Nous avons déjà dit un mot de la mastication en parlant du sens du goût
et nous avons vu quelle était très-imparfaite, et que l’animal avalait les corps
sans les broyer. Pour cet effet, la nature ne lui a pas seulement donné les
moyens de distendre extrêmement toutes les parties au travers desquelles les
aliments doivent passer, elle l’a en outre pourvu abondamment d’une salive
visqueuse, qui remplit tellement sa bouche, que , pendant la déglutition, elle
s écoule au-dehors en longs filets, et il est à remarquer que ce dernier phénomène
se presente dans toute sa force, même lorsque le Phoque ne fait encore
qu apercevoir sa proie. Tant que la mastication et la déglutition se passent
sur terre, elles ne doivent éprouver aucun obstacle ; mais le Phoque man^e
souvent au fond des eaux la proie qu’il y a saisie, et il n’est pas possible de
supposer que, dans cette circonstance, il prenne sa nourriture et l’avale de la
même manière que dans l’autre; en effet, lorsque le poisson est sur la terre il le
saisit avec ses dents, le brise et l’engloutit, en le faisant tomber pour ainsi’dire,
dans son estomac , plutôt qu’en l’y poussant ; lorsque cette proie est dans l’eau il
s’en empare souvent par une espèce de succion; il n’ouvre point la bouche entièrement;
il n’écarte que l’extrémité de ses lèvres, en abaissant en même temps un peu
sa mâchoire inférieure: alors, comme le vide a été fait dans la bouche auparavant,
le poisson est attiré et saisi, s’il se présente d’une manière convenable, c’est-à-
dire par la tête, par la queue ou par la pointe des nageoires; car s’il présente
quelque surface large qui surpasse la petite ouverture de la bouche, le Phoque
est obligé de prendre de nouvelles mesures et de l’attaquer de nouveau. Ce n’est
pas tout : il faut avaler cette proie après s’en être emparé ; et l’on conçoit que, si
le Phoque n’agissait pas autrement pour cet effet dans l’eau que sur là terre, son
estomac serait rempli de liquide avant que les aliments fussent descendus; sur ce
point je n’ai pu encore satisfaire ma curiosité, et c’est une question qui reste
jusqu’ici sans réponse.
La voix la plus forte que mes jeunes Phoques aient fait entendre, était une
sorte d’aboiement, un peu plus faible que celui du chien. C’était le soir et lorsque
le temps se disposait à changer qu’ils aboyaient. Quand ils étaient en colère, ils
ne le témoignaient que par une espèce de sifflement assez semblable à celui d’un
chat qui menace.
Ce que j’ai dit des organes du Phoque ne doit, à ce qu’il me semble, laisser
aucun doute sur leur imperfection; et, en ne jugeant l’intelligence de ces
animaux que d’après ces faits seuls, on serait conduit à les regarder comme les
plus brutes des mammifères terrestres. Cependant ces Phoques pourvus de
membres si imparfaits, de sens si grossiers, savent tirer du petit nombre de leurs
sensations, des résultats infiniment supérieurs à ceux qu’obtiennent des leurs
des animaux en apparence plus heureusement organisés. Ce qui est une nouvelle
preuve en faveur de l’opinion qui donne au cerveau la principale influence sur
les idées.
Les animaux dont je parle n’éprouvaient aucune crainte ni de la présence de
l’homme, ni de celle des animaux; on ne parvenait même à les faire fuir qu’en
s approchant assez d’eux pour leur donner la crainte d’être foulés aux pieds,
et, dans ce cas-là même, ils n’évitaient jamais le danger qu’en s’en éloignant.
Un seul menaçait de la voix et frappait quelquefois de la patte; mais il ne
mordait qu à la dernière extrémité. Il en était de même pour conserver leur
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