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LE HAMSTER.
J a m a i s la nature ne donne de plus grandes preuves de sa puissance et ne
montre davantage l’étendue de ses ressources, que lorsqu’elle doit suppléer
par l’instinct à l’intelligence , et mettre une force aveugle et nécessaire à 'la
place du jugement et de l’indépendance. Alors les êtres les plus stupides en
effet, sont ceux qui paraissent avoir les facultés intellectuelles les plus étendues:
ils semblent se rapprocher de 1 homme, l’égaler-, le surpasser même par leur
prévoyance et leur sagacité ; et ces facultés si remarquables ne sont ordinairement
accompagnées que des organes les plus bornés, que des qualités physiques
les plus faibles. Mais ce qui sépare l’instinct de l’intelligence et laisse toute la
supériorité à celle-ci, c’est que l’instinct est circonscrit à un petit nombre d’actions
hors desquelles il n’est plus rien, et abandonne ceux qui n’ont de ressources
qu’en lui; et que l’intelligence, au contraire, toujours présente, toujours
capable d’agir, s’étend à toutes les circonstances, à tous les temps, à tous les
lieux. Pour l’instinct, le monde est borné à l’instinct lui-même, auquel les sens
sont soumis; pour l’intelligence, il peut s’étendre même au-delà des sens qui
tous restent libres.
Le Hamster, comme la plupart des rongeurs, offre un exemple curieux d’instinct
étendu et d’intelligence bornée. L’avenir n’existe que pour l’homme seul
dans le présent : aucun animal n’est susceptible de prévoyance, et par conséquent
de conformer ses actions, par le fait d’une connaissance anticipée, à des
besoins futurs. Les animaux n’existent que pour le présent; et leurs modifica- '
tions passées ne se retracent même en eux que comme des modifications actuelles;
en un mot le temps ne paraît entrer pouf rien dans leurs perceptions.
Cependant le Hamster, qui est un animal faible et désarmé, dont les graines
fari neuses font I a principale nourriture, se cache dans des terriers compliqués
et à plusieurs issues qu’il se creuse au milieu des campagnes; et, comme s’il
prévoyait l’approche de l’hiver et le temps où les champs seront dépouillés, il
forme, dans ces terriers, des magasins considérables, souvent beaucoup plus
étendus que ses besoins ne le demanderaient, et au moyen desquels il peut
attendre, sans privations, le retour du printemps et la maturité des moissons.
Du reste, c’est un animal grossier, tout entier sous l’empire des circonstances
au milieu desquelles il se développe. Dans la solitude des champs, il devient
craintif et farouche; élevé en esclavage, il se familiarise avec tout ce qu’il voit
et tout ce qu’il entend ; mais il ne distingue point ceux qui le nourrissent de
ceux qui ne lui donnent aucun soin; les actions des uns et des autres ne paraissent
être à ses yeux que de simples mouvements : une pierre qui roule,