en sont chassés. On les rencontre quelquefois au nombre de cent, conduits par
les individus les plus expérimentés et les plus forts; et ils vont ainsi, paissant
en paix, comme nos troupeaux; de moutons vont dans les champs, en suivant
le berger qui marche à leur tête. On doit présumer qu’au temps du rut, en
décembre et janvier, ils se divisent en troupes plus petites, formées d’un mâle
et des femelles qui lui sont attachées; alors la paix cesse de régner : si ces
troupes se rencontrent, leurs chefs s’attaquent avec fureur : ils ne savent point
se défendre pour sauver leur vie, ils combattent jusqu’à la mort pour conserver
leurs femelles; et il est peu d’animaux plus obstinés dans leur colère : elle s’accroît
en proportion des coups qu’ils se donnent. Si les combattants ne sont pas
très-différents de force, l’un des deux périt ordinairement sur la place, plutôt
que de la céder; cependant si l’un est beaucoup plus faible il s’éloigne ordinairement,
et le vainqueur, satisfait, ne le poursuit pas. Leur manière de combattre
est tout-à-fait semblable à celle de nos béliers ; c’est toujours leur tête
qui reçoit et qui porte les coups : elle tient à-la-fois lieu de bouclier et de
massue. Lorsque l’animal veut prendre sa carrière, pour s’élancer sur son ennemi,
il le fait en reculant, la tête baissée, et la base des cornes dirigée en
avant. Son adversaire prend de son côté les mêmes précautions : jamais aucune
autre partie du corps ne reste à découvert et exposée aux coups. Après cette
manoeuvre, dès qu’un certain intervalle les sépare, ils se précipitent l’un contre
l’autre, leur tête se choque, et l’on dirait, au bruit qui retentit, que la hache
d’un bûcheron frappe la souche d’un vieux chêne.
Pendant ces dangereux débats les femelles en attendent l’issue sans y prendre
de part active; mais elles ne deviennent pas toujours pour cela le prix du vainqueur
: leur choix avait été libre, le plus souvent elles y restent fidèles.
Ces animaux s’accouplent comme nos moutons; la femelle porte cinq mois;
elle met bas en avril ou mai, et les petits naissent couverts de poils, les yeux
ouverts, et capables de marcher. Bientôt ils suivent par-tout leur mère, qui en
a le plus grand soin, et qui sait les défendre avec courage; et dès la fin de
leur première année ils montrent déjà les désirs de l’amour; mais ils n’ont atteint
leur entier développement qu’à la troisième. Les historiens qui ont été à
portée de voir les Mouflons dans leur état de nature , disent que leur taille
approche de celle du daim. On doit penser qu’il y a de l’exagération dans ce
rapport. Ceux que la Ménagerie du Roi a possédés , ne sont jamais devenus
plus grands que nos moutons de race moyenne. Voici les proportions de l’individu
mâle que nous avons fait représenter : sa taille n’est sans doute pas celle
qu’il aurait acquise dans une parfaite indépendance, mais comme il a toujours
été libre dans un parc assez spacieux, qu’il a été bien nourri, et que ses forces
n’ont jamais paru affaiblies, il est permis de supposer qu’elle n’est cependant
pas très-éloignée de celle que son espèce atteint communément.
La partie la plus élevée de son dos est à deux pieds trois pouces au-dessus
du sol; il a, de la queue au garot, un pied neuf pouces, et du garot entre les
deux cornes, onze pouces. Sa tête, du milieu des deux cornes au bout du
museau, a huit pouces, et sa queue a trois pouces et demi; enfin les cornes
ont vingt-trois pouces de développement à leur face supérieure.
Cet animal , comme tous ceux qui habitent des régions où la température
peut être très-basse, a deux sortes de poils: des soyeux, auxquels il doit ses
diverses couleurs, et des laineux, qui sont cachés sous les premiers, et qui semblent
particulièrement destinés à le préserver du froid; cewx-ci sont gris, fins
et épais, et il est à remarquer qu’ils prennent la forme de tire-bouchons, comme
le font ceux dont se compose la toison de nos moutons domestiques. Les poils
soyeux sont très-courts sur la tête et sur les jambes, ou il n’y en a point d’autres,
et le dessous de la queue est tout-à-fait nue.
Ses couleurs variaient suivant les saisons. : en hiver il y avait plus de noir ,
et le pelage était beaucoup plus fourni qu’en été. Dans cette dernière saison,
sa tête était d’un fauve terne, mêlée de quelques poils noirs, sur le dos et sur
le cou, au milieu des épaules, sur les flancs et sur les cuisses. Cette couleur
avait une teinte plus foncée, qui formait comme une raie le long de l’épine,
depuis Focciput jusqu’à la queue. Le dessous du cou, jusque sur la poitrine,
la moitié supérieure des jambes de devant antérieurement, la queue, une ligne
entre les flancs et le ventre, qui joignait les extrémités antérieures aux postérieures,
la partie supérieure, et les côtés de la face, une tache longitudinale
qui naissait à la commissure des lèvres, suivait la direction de la bouche ..jusqu’en
arrière de l’oeil, et descendait alors sous la mâchoire inférieùre pour se réunir
à la tache du côté opposé, étaient noirâtres; la partie antérieure de la face, le
dessus et le dessous de l’oeil, les oreilles, les canons, le ventre, les fesses
et le bord de la queue étaient blancs; la face interne des membres, à leur partie
supérieure , était d’un gris sale, et un caractère particulier à cet animal, c’est
une large tache d’un fauve très-pâle qui couvre le milieu de ses flancs. Les cornes
sont ridées, principalement à leur base, et leur couleur était d’un gris jaunâtre
ainsi que les sabots. En hiver, les poils noirs du dessous du cou formaient
comme une sorte de cravate ou de fanon, la ligne brune du dos était toute noire,
principalement sur les épaules, où les poils étaient devenus longs et épais; le
fauve des autres parties était plus noirâtre, et la tache des flancs était entièrement
blanche. L’intérieur des narines et de là bouche, la langue, etc., étaient
noirs dans toutes les saisons. La femelle ne différait du mâle que par l’absence
des cornes, et par des poils moins épais.
Les jeunes ont une couleur fauve plus pure que celle des vieux; les fesses ne
sont pas blanches, mais d’un fauve-clair, et le dessus de la queue, au lieu d’être
noir, est fauve-brun. Les cornes commencent à pousser bientôt après la naissance
, et au bout de la première année elles ont de quatre à six pouces de
long.
La domesticité n’a eu aucune influence sur le développement intellectuel des
Mouflons que nous avons possédés, elle n’a fait que les habituer à la présence
d’objets nouveaux : les hommes ne les effrayaient plus; il semblait même que
ces animaux eussent acquis plus de confiance dans leur force, en apprenant à
nous connaître, car au lieu de fuir leur gardien, ils l’attaquaient avec fureur,
et les mâles sur-tout. Les châtiments, bien loin de les corriger, ne les rendirent
que plus méchants; et si quelques-uns devinrent craintifs, ils ne se soumirent
point, et ne virent que des ennemis et non pas des maîtres dans ceux