Nous devons ce Cerf aux soins de M. Milbert, dont nous avons déjà eu si
souvent occasion, dans cet ouvrage, de reconnaître le zèle éclairé. Dés le premier
regard qu’on jeta sur ce bel animal, on put s’expliquer les rapports des voyageurs,
et les conjectures qu’il avait fait naître* car rien ne ressemble plus au
Cerf commun que le Wapiti : il en a les formes, la physionomie, et même en
général les couleurs et les bois* aussi le naturaliste le plus exercé aurait-il pu
se tromper en ne recourant qu’à sa mémoire pour comparer ces Cerfs l’un à
l’autre. Il fallait, pour les bien juger, les avoir tous deux en même temps sous
les yeux * et c’est l’avantage que nous avons pu nous procurer en les plaçant
dans des parcs contigus. Aussi croyons-nous devoir, pour faire connaître le
Wapiti, parcourir successivement leurs diverses parties, en indiquant ce qu’elles
ont de semblable- ou de différent.
La hauteur de l’un, aux épaules, est de i pieds, et celle de l’autre de 3.
Leurs têtes ont les mêmes proportions, et les diverses parties dont elles se composent,
la même structure et les mêmes formes* mais elles différent par le ton
des couleurs : celle du Cerf commun est d’un brun-noirâtre uniforme, celle du
Wapiti a toute sa partie postérieure et la mâchoire inférieure d’un brun-fauve
assez vif, et une tache noire descend du coin de la bouche de chaque côté de
cette mâchoire* chez le premier, l’oeil est entouré de poils blanchâtres* chez le
second, le tour de l’oeil est entièrement brun.
Le Cerf d’Europe a généralement les maîtres andouillers relevés à leur extrémité*
celui du Canada a ces andouillers rabaissés dans la direction du chanfrein,
et il paraît que ce caractère est constant* du moins a -t-il toujours été observé
sur les bois, bien conformés, de ce Cerf. On a ajouté, pour caractère de ces
bois, qu’ils étaient constamment arrondis, et qu’ils ne se terminaient jamais par
une empaumure. Cependant le bois de ce Cerf, décrit et figuré par Daubenton
(t. V I, pl. 26), que le Cabinet d’anatomie comparée du Jardin du Roi possède
encore, est trés-aplati au point de ses dernières bifurcations. Le cou, chez l’un
et chez l’autre, est’ d’une teinte plus foncée que les côtés du corps; il est brun-
Boirâtre dans notre Cerf, et roux mêlé de noir dans celui d’Amérique, avec des
poils épais et noirs en forme de fanon* et cette couleur, qui devient d’un brun
mêlé de blanchâtre chez le premier depuis les épaules jusqu’aux cuisses, devient
d’un blond très-clair chez le second. Chez tous deux les membres sont d’un brun
plus foncé antérieurement que postérieurement* mais cette dernière partie est
d’une teinte plus faible chez le grand que chez le petit. Tous deux aussi ont une
tache d’un jaunâtre très-pâle sur les fesses, bordée d’une ligne noire sur les
cuisses, et la queue est de ce même jaune* mais elle a 6 pouces de longueur
chez le Cerf commun, et elle en a à peine 2 chez le Cerf du Canada. Ces couleurs
sont celles des Cerfs que nous venons de comparer l’un à l’autre à l’époque
de l’année où nous nous trouvons, c’est-à-dire au commencement de l’automne*
elles changeront sans doute pour l’hiver, et c’est ce que nous ferons connaître
en donnant une nouvelle figure de ce bel animal, et sous un autre aspect,
lorsque ses bois auront acquis un plus grand développement * car nous ne les
voyons point encore aujourd’hui avec tous leurs caractères : ils ne nous présentent
que deux andouillers à chaque merrain, et ils en ont toujours trois, sans
compter les subdivisions plus ou moins nombreuses de la couronne.
Tous les poils de cet animal sont de longueur moyenne sur les épaules, le
dos, les flancs et les cuisses et le dessus de la tête* les c^tés et les membres
sont garnis de poils plus courts*, mais ils sont très-longs sur les côtés postérieurs
de la tête, et sur le cou, principalement en dessous, où ils forment, comme
nous l’avons déjà dit, une sorte de fanon; et l’on voit une brosse de poils fauves
environnant une substance cornée, de forme étroite et allongée, à la partie postérieure
et extérieure de la jambe de derrière. L’intérieur des oreilles est blanc,
garni de poils touffus, et leur face externe est de la couleur des parties voisines.
Vers l’angle interne de l’oeil, autour du larmier, est une partie triangulaire
tout-à-fait nue.
Quant aux organes plus essentiels que ceux dont je viens de parler, je dois
me borner à dire, pour ne point me répéter, qu’ils sont entièrement semblables
à ceux du Cerf commun* comme lui, le Cerf du Canada a de très-grands larmiers,
un mufle, des canines à la mâchoire supérieure, une langue douce, des
prunelles allongées, des poils soyeux, épais et secs, une laine sur la peau, etc.
Son rut a aussi lieu en automne* dés le commencement de septembre il en a
ressenti les atteintes. Jusqu’alors il avait toujours été fort doux avec son gardien,
et jamais il n’avait fait entendre sa voix* mais dès que les besoins de
l’amour l’agitèrent, il devint furieux; aussitôt qu’on s’approchait de son parc, il
se précipitait, la tête baissée, sur les barrières qui en forment l’enceinte, et à
chaque instant il poussait un cri très-prolongé et très-aigu, qui consistait dans
cette succession de voyelles a, o, «, et qui, par sa force, blessait vivement l’ouïe*
il différait encore en cela du Cerf d’Europe, dont la voix, quoique assez forte,
est cependant sourde et grave. La voix de l’un a quelque ressemblance avec le cri
du Chien, celle de l’autre avec le beuglement du Boeuf. Cet état, a duré près de
deux mois* et, n’ayant point de femelle de son espèce à lui donner, on l’a
réuni à deux biches communes auxquelles il n’a fait aucun mal, avec lesquelles
mêmes il s’est familiarisé, mais qu’il ne paraît point avoir couvertes.
M. Warden nous apprend que ces Cerfs vivent en famille, et que les mâles ne
s’attachent qu’à une seule femelle* que les membres de chaque troupe sont très-
unis entre eux, et qu’il suffit d’en tuer un pour répandre le trouble et la terreur
parmi les autres. Il ajoute que les Sauvages, les élevant jeunes, les attellent /
à leurs traîneaux* en effet, nous avons reçu la dépouille d’un Wapiti dont les
sabots étaient ferrés.
Ce qui précède ne permet plus de doutes sur l’existence de l’espèce du Wapiti,
distincte de celle de notre Cerf d’Europe* elle pourra donc conserver, dans
les Catalogues méthodiques, le nom qu’elle a reçu de Cervus Canadensis : mais
conservera-t-elle de même la synonymie qui lui a été rapportée?
Le Cerf du Canada, de Perraut, présente des différences assez remarquables,
comparé au Wapiti* d’abord la forme recourbée de l’extrémité des andouillers, mais
surtout la longueur de la queue et l’apparente absence de toute tache aux fesses:
car il est difficile de penser que le dessinateur et même le graveur n’eussent pas
fait sentir cette tache, au moins par la teinte plus pâle des parties, si elle eût
existé. Cette espèce, différente de celle du Wapiti, est en effet donnée comme
certaine par M. Warden, dans sa description des Etats-Unis (trad. franç., t. V,
p. 667) : dès-lors toute synonymie devient presque incertaine* car ce que dit
Catesby, de son Cervus major Canadensis; Brown, de son Cervus cornibus ramosis
teretibus incurvis; Lahontan et Charlevoix, de leur Cerf du Canada * Mackensie,