i r a i LE MAGOT.
J l j i n t e l l i g e n c e , ce don précieux, donné aux animaux pour leur conservation,
et au moyen duquel ils prennent leur rang dans l’ordre de cet univers, ajoute
toujours, dans la liberté de la nature, au bien-être et à l’indépendance, mais
devient fréquemment, sous l’çmpire de l’homme, une cause de souffrance et de
persécution. Le berger ne se sert guere que de sa voix pour conduire ses stupides
moutons ; le fouet est déjà en usage pour le cheval ou le chien, et ce
sont' les instruments de la torture qu’on emploie envers l’homme esclave. C’est
aussi à son intelligence que le M a g o t doit les tourments sans nombre dont nos
baladins sont dans l’usage de l’accabler. Excepté les Orangs et les Gibbons, il est
le seul singe de 1 ancien continent, qui soit susceptible de recevoir une certaine
instruction; les autres, grossiers et farouches, sont incapables en esclavage de
rien concevoir; mais ils conservent en paix leur liberté, et le M a g o t est toujours
exposé à perdre la sienne. Cependant le M a g o t mâle ne se soumet à l’homme
que dans son extrême jeunesse, et lorsque ses facultés actives n’ont point encore
acquis toute leur force; arrive une fois a l’etat adulte, il commence à être
moins traitable, et bientôt, comme les autres espèces de macaques, il se refuse
à toute soumission. Les bons et les mauvais traitements sont sans effet sur
lui : aussi incapable de confiance que de crainte, le besoin de son indépendance
est, pour ainsi dire, le seul qu’il puisse éprouver, et l’état pénible où
ce sentiment le jette, lorsqu’on le réveille trop fortement en lui par de mauvais
traitements, ne tarde pas à le plonger dans la tristesse, et à le conduire
au marasme et enfin à la mort; si au contraire on le laisse en paix dans son
esclavage, il s’y habitue, mais toute activité cesse en lui; assis sur son derrière,
les bras appuyés sur ses genoux, et les mains pendantes , il suit d’un
regard stupide ce qui se passe autour de lui, et si le besoin de la faim ou de
l’amour ne venait pas de temps à autre le tirer de cette espèce de léthargie , sa
vie se passerait en quelque sorte dans un état intermédiaire entre la vie des
plantes et celle des autres mammifères : ses fonctions végétatives s’opèrent encore,
mais excepté les sensations, toutes celles qui dépendent de l’intelligence
cessent : n’ayant plus de sentiments son esprit n’a plus d’idées. Au contraire,
le M a g o t en liberté est peut-être un des animaux qui réunissent au plus haut
degré la vivacité et la variété des sentiments ; aussi n’en est-il guère qui aient
plus de pétulance et dont l’intelligence soit plus active et plus pénétrante ; et
ces qualités, jointes au mode d’organisation qui distingue les M a g o t s , donnent
à ces animaux sur les autres une telle supériorité, qu’ils finissent par dominer