La plupart des voyageurs n’en parlent que comme de quelques troupes de
fugitifs, célèbres par la haine que leur portent les Hottentots domiciliés et les
colons hollandais du Cap.
Les récits de Levaillant sur une peuplade qu’il nomme Iïouzouanas, et qui
aurait les caractères physiques attribués aux Boschismans, ont même été révoqués
en doute tout récemment ; et Barow a prétendu qu’une telle nation était entièrement
chimérique.
Mais ces incertitudes doivent céder à des faits positifs.
D’après les observations faites par le général hollandais Jansens, dans une
tournée entreprise pendant qu’il était gouverneur du Cap, et rapportées en détail
dans le voyage de M. Lichtenstein, il paraît bien constant que les êtres presque
entièrement sauvages qui infestent certaines parties de la colonie du Cap, et que
les Hollandais ont appelés Bosjesmans ou Hommes de Buissons, parce qu’ils ont
coutume de se faire des espèces de nids dans des touffes de broussailles, proviennent
d’une race de l’intérieur de l’Afrique, également distincte des Cafres
et des Hottentots, qui n’avait pas dépassé d’abord la rivière d’Orange, mais qui
se sont répandus plus au sud, attirés par l’appât du butin qu’ils pouvaient faire
parmi les troupeaux des colons.
Ainsi épars dans les cantons les plus arides, sans cesse poursuivis par les colons,
qui les traquent quelquefois comme des bêtès fauves, et les mettent à mort sans
pitié, ils mènent la vie la plus misérable.
Ceux mêmes qui, restés hors des limites de la colonie, sont exposés à moins
de dangers, ne forment point de corps de peuple, ne connaissent ni gouvernement
ni propriétés, ne se rassemblent qu’en famille?, et seulement quand l’amour
les excite. Ne pouvant, dans un pareil état, se livrer à L’agriculture, ni même à
la vie pastorale, ils ne subsistent que de chasse et de brigandage? n’habitent que
des cavernes, ne se couvrent que des peaux des bêtes qu’ils ont tuées. Leur
unique industrie se réduit à empoisonner leurs flèches et à fabriquer quelques
réseaux pour prendre du poisson.
Aussi leur misère est-elle excessive : ils périssent souvent de faim, et portent
toujours, dans leur petite taille, dans leurs membres grêles,- dans leur horrible
maigreur, les marques des privations auxquelles leur barbarie et les déserts qu’ils
habitent les condamnent.
Le général Jansens avait contracté quelques liaisons avec ceux qui demeurent
au nord de la colonie; et dans l’année i 8o4, qui fut remarquable par son aridité,
un de ceux qu’il avait connus lui envoya son fils, âgé de dix ans environ, en le
p r i a n t 'seulement de le nourrir.
Nous avons vu cet enfant à Paris en 1807. Il était d’une très-petite taille; et,
autant que nous pouvons nous le rappeler, il ressemblait, à beaucoup dégards,
à la femme qui fait le sujet de nos observations actuelles. Il paraît que celle-ci
avait été amenée au Cap par quelque hasard semblable, et à peu près au même
âge que ce petit garçon.
Lorsque nous l’avons vue pour la première fois, elle se-croyait âgée d’environ
vingt-six ans, et disait avoir été mariée à un nègre dont elle avait eu deux
enfants. .
Un Anglais lui avait fait espérer une grande fortune si elle venait s’offrir à
la curiosité des Européens ; mais il avait fini par l’abandonner à un montreur
d’animaux de Paris, chez lequel’ elle est morte d’une maladie inflammatoire et
éruptive.
Tout le monde a pu la voir pendant dix-huit mois de séjour dans notre capitale,
et vérifier l’énorme protubérance de ses fesses et l’apparence brutale de sa figure.
Ses mouvements avaient quelque chose- de brusque et de capricieux qui rappelait
ceux du Singe. Elle avait surtout une manière de faire saillir ses lèvres
tout-à-fait pareille à ce que nous avons observé dans l’Orang-Outang. Son caractère
était gai, sa mémoire bonne, et elle reconnaissait, après plusieurs semaines,
une personne qu’elle n’avait vue qu’une fois; elle parlait tolérablement le hollandais,
qu’elle avait appris au Cap, savait aussi un peu d’anglais, et commençait à
dire quelques mots de français; elle dansait à la manière de son pays, et jouait
avec assez d’oreille de ce: petit instrument qu’on appelle guimbarde. Les colliers,
les ceintures de verroteries et autres atours sauvages lui plaisaient beaucoup ;
mais ce qui flattait son goût plus que tout le reste, c’était l’eau-de-vie. On peut
même attribuer sa mort à un excès de boisson auquel elle se livra pendant sa
dernière maladie.
Sa hauteur était de 4 pieds 6 pouces 7 lignes; ce qui, d’après ce qu’on rapporte
de ses compatriotes, devait faire, dans son pays, une assez haute stature:
mais elle la devait peut-être à l’abondance de nourriture dont elle avait joui au
Cap.
Sa conformation frappait d’abord par l’énorme largeur de ses hanches, qui passait
18 pouces, et par la saillie de ses- fesses, qui était de plus d’un demi-pied.
Du reste, elle n’avait rien de difforme dans les proportions des membres et du
corps; ses épaules, son dos, le haut de sa poitrine, avaient de la grâce; la saillie
de son ventre.n’était point excessive; ses bras, un peu grêles : sa main ,et son
pied étaient très-bien faits; mais son genou paraissait gros et Cagneux, ce qu’on
a ensuite reconnu être dû à une forte masse de graisse située sous la peau, du
côté interne.
Il paraît que ces proportions de membres sont générales dans sa nation; car
M. Levaillant les • attribue â ses HouzOuanas, qui ne doivent pas être autre chosé
que des Boschismans vivant en tribus plus noihbreuses, parce qu’ils habitent
des cantons où ils jouissent de plus de tranquillité.
Ce que notre Boschismanne avait de plus rebutant, c’était la physionomie; son
visage tenait en partie du Nègre par la saillie des mâchoires, l’obliquité des dents
incisives, la grosseur des lèvres, la brièveté et le re'culement du menton; en
partie du Mongole par l’énorme grosseur des pommettes, l’aplatissement de la
base du nez et de la partie du front et des arcades sourcilières qui l’avoisinent,
les fentes étroites des yeux.
Ses cheveux, étaient noirs et laineux comme ceux des Nègres ; la fente de ses
yeux horizontale et non oblique, comme dans les Mongoles; ses arcades sourcilières
rectilignes, fort écartées l’une de l’autre, et fort'aplaties vers le nez, très-
saillantes au contraire vers la tempe et au-dessus de la pommette : ses yeux
étaient noirs et assez vifs; ses lèvres un peu noirâtres, monstrueusement renflées;
son teint fort basané.
Son oreille avait du rapport avec celle de plusieurs Singes, par sa petitesse,
la faiblesse de son tragus, et parce que son bord externe était presque effacé à
la partie postérieure.