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LE BOUC
DE LA HAUTE-ÉGYPTE.
L é t u d e des variétés devrait être pour le naturaliste mille fois plus importante
que celle des espèces, si la liaison des causes aux effets, ou la succession de
ceux-ci, doivent être le but définitif de toute recherche philosophique. En
vain demanderait-il à la nature aujourd’hui la cause des différences organiques
par lesquelles les espèces se distinguent l’une de l’autre; la force qui les fit
naître a cessé d’agir ou se cache dans des profondeurs où notre oeil ne peut
atteindre. Les causes des variétés sont au contraire sous notre main; chaque
jour nous les voyons produire leurs étonnantes merveilles; nous pouvons en
quelque sorte suivre leur marche et mesurer leur puissance, hâter ou ralentir
leur action ; nous pourrions meme peut-être nous en rendre maîtres et les
diriger à notre gré, comme nous avons su le faire de tant d’autres forces de la
nature ; et les effets que nous obtiendrions par-là seraient incomparablement
plus importants que tous ceux que nous pourrions tirer des forces qui donnèrent
naissance aux espèces. En effet, aucun genre naturel ne montre des
différences spécifiques aussi grandes que les différences de variétés qui caractérisent
nos animaux domestiques. Le Lion et le Tigre ne diffèrent pas plus l’un de
l’autre que le chat d’Espagne ne diffère du chat Angora : le Loup et le Chacal
ont cent fois plus de ressemblance que n’en ont le Chien-dogue et le Chien-
lévrier. N en est-il pas de même du Mouflon et de l’Argali comparés au
Morvan et au Mérinos? et l’Égagre ne pourrait-il pas plus facilement être
confondu avec le Bouquetin, que le Bouc de Cachemire, que nous avons publié
précédemment, ne pourrait l’être avec celui que nous publions aujourd’hui?
Ce Bouc nous est venu de la Haute-Ëgypte, de ce continent que les Anciens
regardaient comme la patrie des monstres, et qui est en effet la contrée
de la terre la plus féconde en productions extraordinaires. Cette variété
n en est pas une des moins remarquables. Jusqu’à-présent on n’avait guères
eu dautre caractère pour séparer les Chèvres des Moutons, que la concavité
du chanfrein et la barbe des uns, et la convexité de cette partie de la
tête avec le menton imberbe des autres. Eli bien ! ce Bouc d’Egypte a le
chanfrein plus arqué qu’aucun Mouton, et il est tout-à-fait dépourvu de barbe.
Aussi, en le voyant monte sur ses hautes jambes, le prend-on généralement pour
celte variété de Mouton, non moins extraordinaire que la sienne, dont Buffon