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méthode ne s’égarerait-on pas dans l’étude de ces Mammifères, lorsqu’il faudrait en
embrasser par la pensée les mille ou douze cents espèces connues pour en tirer les
vérités générales ou particulières qu’elles peuvent nous dévoiler? Bientôt sans doute
cette science ne nous offrirait plus que le spectacle qu’elle nous présente lorsque
nous remontons aux Gesner et aux Aldrovande, l’arbitraire ou la confusion. La méthode
est la première condition de tout progrès pour une science, et de tou#succès
pour ceux qui la cultivent. Son premier effet est de réunir les êtres conformément
à leur degré de ressemblance, dans le point de vue sous lequel on les envisage ;
et sous le rapport de l’histoire naturelle, les Mammifères doivent tirer, leur ressemblance
de leurs organes et de leurs fonctions extérieures, et de leurs actions
ou des besoins que ces actions manifestent : car c’est par ces organes et ces fonctions,
et pour ainsi dire par l’extrémité de leur organisation, qu’ils sont en rapport
immédiat avec le monde extérieur, que leur influence s’exerce, et que l’harmonie
à laquelle ils concourent s’établit et se conserve. En effet, toute science non »tib-
cielle, qui naît directement de la nature des choses, doit trouver en elle-même ses
moyens de progrès et de perfectionnement; maïs fêsüis loin de penser qu’elle ne
’doit employer le secours d’aucune autre science, je veux dire seulement que les
autres sciences ne doivent pas prendre une part essentielle à ses travaux, quelles
ne doivent être que ses auxiliaire! f autrement elle s’exposerait sous leur influence
à changer de direction et à s’égarer.
C’est en effet ce qui a eu lieu pour la zoologie; le besoin de la méthode s’est
fait sentir dans cette science, avant que les observations qui lui sont propres aient
été assez nombreuses et assez importantes pour lui donner les moyens d’en fonder
une sur de solides bases. Elle a donc dû avoir recours aux sciences qui pouvaient la
seconder, et l’anatomie était la seule qui pût suppléer ce qui lui manquait. .Tout ce
qui est comparable chez les animaux dépend en effet de quelques parties organiques,
ou se manifeste par elles; et toutes ces parties sont dans une dépendance réciproque
plus ou moins grande, de sorte qu’il existe entre elles des rapports nécessaires et
tels que la connaissance des unes donne jusqu’à un certain point la connaissance
des autres. On pouvait donc, au moyen de l’organisation interne ou anatomique,
établir les ressemblances de l’organisation externe ou zoologique., connue on pourrait
par les organes p.xternes-établir la ressemblance des internes,, si les premiers
avaient fait, comme ces derniersT'un oEjet particulier cl’étude. Or les organes
internes, mieux étudiés, mieux connus, plus faciles à distinguer que les externes,
plus importans à beaucoup d’égards et conduisant sûrement à établir les rapports
naturels des animaux, furent d’abord préférés à tous les autres.
Cette influence accidentelle de l’anatomie, tout en contribuant de la manière la
plus puissante au perfectionnement de la méthode en zoologie, a dû conséquem-
ment et par cela même«rrêter les progrès de cette science : les observations et les
recherches ont pris une direction qui lui était étrangère ; ses besoins n’ont point agi
sur elle, ils ne l’ont point rendue active ; une autre science les a mis à profit, et
le mouvement que lés esprits en ont reçu ne paraît pas prêt à se ralentir; on
dirait même que les recherches anatomiques, par une nouvelle impulsion, vont
se transformer en recherches physiologiques. Sans doute sans les puissans secours de
l’anatomie, une partie très-importante de l’histoire naturelle des Mammifères, celle
même qui semble avoir besoin d’être cultivée la première, serait aujourd’hui beaucoup
plus imparfaite qu’elle ne l’est; mais si cette science eût perdu d’un côté dans
un plus grand isolement, elle aurait gagné de l’autre, abandonnée davantage à elle-
même et à ses propres ressources. Ce qui fait la richesse et assure les progrès d’une
science ce sont les observations : toute tendance qui a pour résultat de les restreindre
lui est pernicieuse; et les raisonnemens mêmes qui ne conduiraient pas à répandre
plus de lumière sur les faits, seraient au moins inutiles. Or ce qui manquait,
ce qui manque encore à l’histoire naturelle des animaux, ce sont des observations.
Si les vues de l’esprit s’étaient exclusivement portées dans cette direction, il est
évident que les Mammifères seraient à cet égard beaucoup mieux connus : toutes
les modifications de leurs formes, toutes les circonstances de leurs actions auraient
été déterminées avec exactitude, circonscrites avec rigueur ; chacune d’elles aurait
été marquée par un caractère, désignée par un nom, comme l’ont été les parties
internes, et il suffirait peut-être Aujourd’hui de quelques mots, pour nous donner
à l’instant même une idée claire de toutes les combinaisons de formes, de toutes
les figures sous lesquelles les animaux se présentent à nous, avantage que nous
sommes bien loin encore de posséder.
Au moyen de ces observations multipliées, de ces détails nombreux, la méthode
zoologique se serait établie sur son propre fonds, par ses propres richesses; car si
l’anatomie devait confirmer les rapports de l’histoire naturelle, elle n’était pas absolument
indispensable pour les établir : il n’est aucun naturaliste exercé qui ne
reconnaisse au premier coup d’oeil les rapports naturels d’un animal. Dès l’origine
de la science, les animaux vertébrés, par exemple, au moyen de la seule considération
de leurs parties extérieures, furent divisés en quatre classes comme aujourd’hui
; et si les secours de l’anatomie ont fait rectifier quelques erreurs qui avaient été
commises d’abord, il est certain que les simples observations zoologiques n’auraient
pas tardé à-conduire au même résultat : elles auraient bientôt fait voir aussi que
les chauve-souris n’étaient pas des oiseaux, les pangolins des reptiles, et les cétacés
des poissons ; qu’ils étaient tous trois- des^mammifères, car le véritable caractère
commun de ces derniers, la lactation, aurait été reconnu^ dès que les idées
générales de la science se seraient enrichies d’un plus grand nombre d’idées pap>-
ticulières. Il en est exactement de même pour les divisions d’un ordre inférieur.
Avec de l’expérience on n’a nullement besoin de recourir aux organes internes
pour reconnaître à quel genre un animal appartient. On détermine très-sûrement
ses rapports d’après l’ensemble de ses formes et la structure des organes qu’on est,
pour ainsi dire, involontairement conduit à étudier, ceux du mouvement et quelques
parties de ceux des sens. La physionomie des chiens, des chats, des martes, des